ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Patrice Lamoureux
Vivre au sein d’un melting-pot culturel limitrophe n’est pas nécessairement le signe d’une inévitable harmonie fusionnelle avec son voisin. Voisin qui est d’ailleurs très familier avec Nadeau, l’appelant «Heille» depuis cinq ans, point de départ d’une réflexion sur les frontières imaginées qui se dressent entre les habitants de ce quartier qui n’en est pas un, habitants qui se sourient poliment, mais ne se parlent jamais.
Il y a un peu d’Ulysse dans cette quête abracadabrante et farfelue, qui verse dans le réalisme magique tout en ayant un aspect extrêmement mordant. Une fois son parcours amorcé, Nadeau est confronté aux voisins étranges (l’un d’entre eux lui remet même une poupée plutôt inquiétante, qui deviendra l’un des personnages qui intervient dans le récit) et traverse un no man’s land parsemé des commerces de quartier dont la longévité nous étonne et nous échappe, dont il dresse une hilarante nomenclature.
Le coin Bélanger & 2e avenue est un véritable désert alimentaire, au sein duquel l’établissement offrant la plus grande variété de victuailles est le dépanneur Wow, qui a droit à une désopilante chanson-thème composée conjointement avec Stéfan Boucher. Ce dernier est le complice du dramaturge, qui incarne une multitude de personnages au fil des pérégrinations de ce qu’il convient d’appeler notre héros, père de famille essoufflé par l’existence et qui commente avec beaucoup d’ironie l’univers qui l’entoure, tandis que sa conscience le tourmente en faisait parfois preuve d’une stupéfiante mauvaise foi.
Boucher, virtuose jouant de plusieurs instruments et amenant une dimension très festive à l’ensemble, est accompagné pour l’ambiance sonore d’Olivier Landry-Gagnon, et le duo parvient à créer, avec quelques machines et beaucoup d’inventivité, une trame sonore aussi éclatée que les péripéties narratives se déroulant sous nos yeux.
Ce parcours halluciné et kafkaesque, qui est passé par le FTA au printemps dernier, n’est pas tant un commentaire sur le cloisonnement volontaire des communautés établies dans certains secteurs de la ville qu’une observation assez percutante de notre façon d’y réagir, et des hésitations et maladresses dont nous sommes responsables lorsque nous tentons de nous intéresser à eux.
Cette performance aussi éducative que ludique aurait été improbable ailleurs qu’à Montréal, ville cosmopolite aux douzaines de ghettos, magnifique terre d’accueil d’une richesse extraordinaire.
Et c’est ce qui la rend si pertinente.
«Nos ghettos» au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 4 photos
Par Patrice Lamoureux
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