ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Charline Clavier
Avant la pièce
Ce spectacle est en quelque sorte une suite de La Mouette d’Anton Tchekhov, qui est majoritairement centrée sur les relations entre le trio amoureux formé par Nina, Treplev et Trigorine.
Treplev, jeune auteur rempli d’idéaux, aime Nina. Nina, jeune femme qui rêve plus que tout de devenir actrice, désire Trigorine. Trigorine, écrivain réputé à travers toute la Russie, est l’amant de la mère de Treplev, la célèbre actrice Irina Arkadina.
Nina décide de quitter Treplev pour Trigorine afin d’accomplir ses ambitions scéniques avec Trigorine. Elle laisse ainsi Treplev désespéré. Deux ans plus tard, Nina revient, révélant son malheur. Sa carrière de grande comédienne tombe à l’eau en même temps que la fausse couche de l’enfant qu’elle devait porter avec Trigorine. Treplev, brisé en mille morceaux, se tire une balle dans la tête après avoir détruit le manuscrit sur lequel il travaillait.
Ça, c’est le préambule de La Mouette, histoire qu’on soit sur la même longueur d’onde avant que j’aborde la pièce de Vișniec. Car si vous n’avez jamais entendu parler du texte dramaturgique de Tchekhov, vous risquez d’avoir un peu de mal à suivre l’intrigue, c’est moi qui vous le dis.
Nina ou de la fragilité des mouettes empaillées commence donc quinze ans après le coup de feu tiré par Treplev, interprété ici par Marc-Antoine Marceau (La république hip-hop du Bas-Canada, L’éveil du printemps). Ce dernier porte d’ailleurs encore les cicatrices de son suicide raté.
Nina, jouée par Mary-Lee Picknell (Quills, Heimat/Revenir), revient une nouvelle fois voir Treplev. Elle a certes vieilli depuis l’époque où Tchekhov l’a mise en scène dans La Mouette, mais elle souhaite encore fuir Trigorine, campé par Jean-Sébastien Ouellette (Un ennemi du peuple, Hope Town).
Or, la Première Guerre mondiale s’abat sur l’Europe. La révolution arrive à grands pas vers la vieille Russie. La société qu’a connue Tchekhov de son vivant s’écroule au fur et à mesure de l’avancée du récit.
À propos de la pièce
La structure de la mise en scène est construite de manière plutôt particulière. Je m’explique! À travers cette adaptation du récit de Matei Vișniec par La Trâlée, on retrouve aussi les performances musicales de Marianne Poirier au chant et au synthétiseur et de Josué Beaucage, sans oublier Kerry Samuels à la guitare.
Leurs prestations, à la frontière du shoegaze et de la dreampop, combinées aux projections vidéo de David B. Ricard et de Keven Dubois, placent vraiment le ton onirique de cette rencontre entre l’univers de Tchekhov, la plume de Vișniec et le public du Périscope.
Chapeau, par ailleurs, aux marionnettes créées par Laurie Carrier et portées par les différents interprètes.
En ce qui a trait aux performances des acteurs, Mary-Lee Picknell sort réellement du lot! Je l’avoue, j’ai été hypnotisé à chacun de ses moments sur scène, à chacune de ses paroles et à chacun de ses gestes. Bref, chaque fois qu’elle arrivait sur les planches, il m’était impossible de prendre des notes.
Sa présence en Nina me subjuguait trop!
À la recherche de nos fantômes collectifs
Le public est donc plongé, dans ce spectacle, dans un rêve éveillé évoquant des fantômes de l’ancienne Russie tsariste.
Personnellement, l’histoire m’a profondément touché, me ramenant à l’esprit le spectre (au sens figuré, bien sûr!) qu’on devient lorsqu’on revisite les lieux marquants de sa vie. Lorsqu’on rêvasse longtemps dans cette nostalgie, les souvenirs finissent par imprégner le présent, figeant les perspectives d’avenir.
Nina, lucide, réalise son état et celui de ses comparses comme figures du passé, lesquels sont semblables à des personnages de Beckett, ce qui mène le spectateur vers une fin qui rappelle En attendant Godot.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, si vous n’avez jamais lu ou vu d’adaptations de La Mouette de Tchekhov, vous risquez de ressortir de ce spectacle plus confus qu’à votre arrivée au théâtre. Mais si vous êtes moindrement familier∙ère avec cette histoire, cette pièce est, et j’ose le dire, l’une des meilleures que j’ai vues à Québec cette année!
«Nina ou de la fragilité des mouettes empaillées» en images
Par Charline Clavier
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de la rédaction