ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Maxime Côté
Reporter à l’international, Arnaud (Patrick Hivon) a la tête pleine de démons dont on ne sait s’ils sont générés par le constant chaos qui s’articule autour de lui en zone de guerre ou par un passé trouble dont il tait à tout le monde la nature. Averti de la mort de son père, il doit revenir à son village natal régler la succession familiale en compagnie d’Armand (Robin-Joël Cool), son frère qu’il retrouve après 14 années d’absence et au moins dix de silence; des retrouvailles qui sont peu cordiales. C’est que le dernier a consacré sa vie à la terre familiale, et il entend bien en hériter quoiqu’en ait décidé son défunt père, car son frère, l’enfant prodige adulé de tous, ne mérite rien du tout à ses yeux.
Dans cette confrontation entre ces deux frères aux plaies toujours vives; entre ces deux excellents comédiens toujours crédibles, la tension est palpable.
Les deux nous captivent et nous mènent aisément partout où ils le veulent, c’est-à-dire loin dans l’intensité. Heureusement, le personnage de Virginie (Marie-Ève Fontaine, une révélation et un nom à retenir) viendra relâcher la tension en devenant un élément à la fois comique et attendrissant. Son interprète est si vraie et authentique, a un jeu d’un réalisme tel qu’on s’attache immédiatement à elle.
Si son collègue Richard Thériault est lui aussi époustouflant dans sa multitude de rôles tous plus typés les uns que les autres, révélant une palette de jeu colorée et riche, d’une grande maîtrise, c’est aussi la scénographie évocatrice et polyvalente de Geneviève Lizotte, mais surtout la mise en scène inventive et dynamique qui impressionne et contribue largement au succès de ce spectacle. Ne laissant aucun répit tout en amplifiant la magnifique poésie et le sens du texte de Gilles Poulin-Denis, le travail de direction de Philippe Ducros est à la fois grandiose et respectueux des thématiques et des symboles présents dans la pièce.
L’eau est omniprésente, qu’elle soit sous forme de lac où il faudrait aller se baigner pour régler toutes ses tensions et tous ses problèmes, ou sous forme de pluie, qui tombera aussi fort que les convictions et que l’assurance qu’a Arnaud au sujet de sa place sur cette terre. Les arbres, symbole fort qui représente les ancêtres et les racines, sont aussi partout dans cette forêt qui a vu naître les deux frères. «Faut que tu tombes l’arbre pour laisser grandir les autres», se remémorera Arnaud, comme pour comprendre que pour en finir avec ses démons, il faut faire son deuil, laisser aller ce qui le précède pour pouvoir vivre pleinement.
Heureusement, Arnaud sera guidé par trois personnages, presque comme dans les traditions ancestrales autochtones; des gens qu’il faut écouter sinon son histoire ne peut progresser. Que ce soit Virginie, qui le poussera à reconnecter avec la nature, la belle Illiana (Isabelle Roy), qui lui fera comprendre qu’il faut bien être chez soi quelque part et qui l’encouragera à retrouver sa famille pour se retrouver lui-même, ou encore le mystérieux Blanc Bear – personnage au dialogue un peu incohérent, seul qui rend le spectateur un peu confus quant au déroulement de l’histoire, interprété par l’incarné Jean-Marc Dalpé -, qui lui fera finalement comprendre qu’il a beau chercher, sa place est résolument ici, dans cette forêt de St-Christophe; Arnaud pourra presque achever sa quête au terme de cette heure et demie de troubles et de surplace.
Les scènes du présent, du futur, du passé et des pensées se mélangent et se superposent sans créer aucune confusion, et le fil conducteur de ce texte d’une grande et belle poésie est limpide. Les côtés poétique, inventif, rythmé et réflexif de la pièce laissent une forte impression, et on en retiendra certainement que si Arnaud devait inévitablement partir, c’est parce qu’il faut impérativement revenir à ses racines, parmi les siens, pour enfin se retrouver.
La fuite n’est donc jamais la solution; il faut faire face à la musique un jour ou l’autre pour se libérer du poids et des aboiements dans sa tête.
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Par Maxime Côté
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