ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marianne Duval
L’enceinte dépouillée du Théâtre Périscope acquiert l’aspect d’une caverne, ou encore celui du ventre de cette curieuse «baleine à 52 hertz» évoquée dans le texte. L’auditoire est plongé dans le tabou du rapport des femmes devenues mères à leur sexualité.
Or, Marjolaine Beauchamp, Geneviève Dufour et Stéphanie-Kym Tougas, formant la distribution de M.I.L.F., s’approprient l’attirail technique du spectacle. Elles assurent leur propre éclairage, et braquent les projecteurs sur des pans sensibles de leur expérience. Elles entendent révéler, puis rompre les chaînes de leur aliénation.
Incarner l’archétype pour le faire éclater
Esthétiquement, à certains égards, la pièce emprunte les codes de la pornographie. Le spectacle comprend de la nudité, des éclairages impitoyables inondent la scène alors que les femmes se cambrent de manière suggestive, et certains tableaux relèvent du véritable clip internet. Le paradoxe est curieux, alors que c’est précisément la pornographie qui alimente une vision désincarnée et objectale des mères.
Or, le fait d’incarner l’archétype de la «Mother I’d Like to Fuck» vise à dynamiter celui-ci. D’ailleurs, en matière de création, d’aucuns considèrent qu’elle ne survient qu’à condition d’être plantée dans un cadre donné. Les contraintes prescrites aux artistes seraient ainsi le catalyseur de leur potentiel créatif.
Dans M.I.L.F., non seulement les femmes ont-elles une consciente prégnante de ces contraintes qui leur sont posées, de ces barreaux qui enceignent leur émancipation, mais elles s’y dérobent à la manière de véritables évadées d’une prison. Leur cavale est flamboyante, leur parole ainsi libérée est retentissante. Prière de mettre au rancart les remontrances-geôlières issues de la bien-pensance de même que le vaste éventail d’exigences sociales posées aux femmes. Le public est plutôt tenu d’observer avec bienveillance et admiration les silhouettes dansantes des femmes autour de cette prise de parole incendiaire.
Un spectacle tonique au rythme irrégulier
L’auditoire – campant le «I» dans l’acronyme «M.I.L.F.» – pose sur les mères un regard tantôt impudique, tantôt profondément attendri. À certains instants, elles le révulsent franchement lorsqu’il est témoin des accès de violence dirigés contre leur enfant. Souvent, leur propos tire les larmes.
Les tableaux sont appuyés par une ambiance sonore infaillible, au diapason de leur contenu respectif, quel que soit le registre dans lequel ils versent. Le rythme de la pièce souffre toutefois quelque peu de cette succession de différents registres. Certains passages commandent à l’auditoire de prêter une oreille fine aux aveux qui sont livrés sur la scène, de mobiliser toute son attention afin de percevoir les modulations ténues dans la voix des interprètes. Force est de relever alors une sorte de rupture dans l’envoûtement que suscitent les femmes. Le spectacle – tonique et électrisant dans l’ensemble – se prête ainsi moins bien à certains aveux presque murmurés.
Une quête d’authenticité
En leur qualité de «sorcières» – Beauchamp, Dufour et Tougas rappelant celles évoquées dans la chanson d’Anne Sylvestre –, les interprètes de M.I.L.F. mystifient l’auditoire. Le potentiel qu’elles recèlent est immense. Elles exigent que l’on reconnaisse leur vérité, leurs contradictions, et la complexité de leur existence; la coexistence de diverses facettes au sein de leur personnalité.
Dans sa chanson Une sorcière comme les autres, Sylvestre implorait: «Regardez-moi je suis vraie / Je vous prie ne m’inventez pas / Vous l’avez tant fait déjà». On en conviendra: la quête d’authenticité à laquelle la chanteuse faisait allusion en 1975 est univoque à celle menée par les femmes à travers M.I.L.F.
«M.I.L.F.» au Théâtre Périscope en 20 photos
Par Marianne Duval
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