ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Angelo Barsetti
Une connivence artistique de longue date
Aux commandes d’UBU compagnie de création, on trouve les deux directeurs artistiques Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, qui collaborent depuis plus de vingt ans. Une chose est sûre, leur complicité créative est palpable: dès leur première rencontre, ils ont ressenti une véritable «étincelle» dans leur approche et leur complémentarité artistiques. Et ils ont bien conscience que leur tandem les tire vers le haut, tout en décuplant leur créativité.
En effet, Denis Marleau explique: «Le dialogue s’est instauré très rapidement lors de notre première collaboration en 1999 avec le spectacle Urfaust, tragédie subjective. Le regard de Stéphanie sur le travail qui se faisait à ce moment-là m’a énormément stimulé sur le plan esthétique et sur celui du processus créatif, et ce, tout naturellement.»
Depuis, les projets s’enchaînent, et l’enthousiasme demeure bien présent: «Pour moi, c’est comme une vision constamment renouvelée de collaborer avec elle!» Stéphanie confirme, ce lien artistique s’est même renforcé avec le temps: «Denis et moi pouvons dire des choses aux acteurs ou aux concepteurs, et on n’a même pas besoin de se consulter avant. On a cette forme de compréhension mutuelle, et je trouve ça plutôt riche.»
La volonté de monter à nouveau Les reines – après l’avoir mise en scène au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2005 – vient du fait que Denis Marleau considère cette pièce comme l’une des plus grandes œuvres issues du répertoire de Normand Chaurette. «J’ai eu un immense plaisir à réunir des comédiennes autour du projet en 2005, et je récidive avec une nouvelle distribution dans le cadre du TNM. Ça vient aussi, d’une certaine façon, célébrer les 40 ans de la compagnie UBU!»
Donner la parole aux femmes et à leurs combats intérieurs
Le point de départ de cette pièce part d’une envie bien précise: celle de reprendre les reines présentes dans les pièces de Shakespeare, où elles sont davantage au second plan et victimes d’une certaine impuissance, puisque les hommes ont tout le pouvoir, afin de leur donner une place centrale.
Comme l’explique Stéphanie Jasmin, «dans la pièce de Normand Chaurette, les hommes sont nommés, mais ils sont hors champ. Les enjeux qui permettent à ces reines d’acquérir un peu plus de lumière, de pouvoir sur leur vie et sur le monde sont intéressants. On est déplacés dans un univers poétique qui a ses propres codes, son propre univers langagier de motifs et de rythmes.»
D’ailleurs, au sujet de l’auteur, elle note que «c’est quelqu’un qui écrit pour les actrices comme s’il écrivait pour des instruments de musique: chacune a sa propre façon de parler et d’être au monde.» Cette vision est partagée par Denis, qui parle d’«une écriture très généreuse, et ce, malgré un langage métaphorique et complexe, puisqu’on est aussi dans le poème dramatique», avant d’ajouter que «c’est ce qui [lui] plaît beaucoup chez Normand Chaurette. Il donne une réponse esthétique à travers son écriture à des réalités humaines qui sont très puissantes et tout à fait reconnaissables pour chacun d’entre nous.»
Par ailleurs, sur scène, le nœud tragique est bien là, agrémenté de l’humour bien senti de l’auteur. Pendant 1 h 30, les reines vivent leurs moments de drames et leurs combats intérieurs. Le rapport mère-fille est aussi l’une des thématiques centrales de l’histoire.
«Ce sont des figures ambivalentes, des femmes qui sont attirées par le pouvoir, en quête de la couronne, mais qui sont aussi liées à un système patriarcal qui leur interdit l’usage du pouvoir. Elles souffrent parfois, car elles sont laissées à elles-mêmes dans un monde qui d’office les exclut, et Normand Chaurette leur donne une parole avec leurs vertiges, leurs instabilités permanentes dans un lieu qui est justement perturbant et perturbé», commente Denis.
La scénographie, le décor et les costumes au service de l’histoire
S’il y a une chose que l’on peut bien affirmer en lien avec cette création, c’est que tout est extrêmement soigné. Le travail de l’artiste visuel de renom Michel Goulet, déjà scénographe pour la version présentée une quinzaine d’années auparavant, appose une dimension «marionnettique» au spectacle où «les reines apparaissent, disparaissent, arrivent d’on ne sait où: du château, d’une tour de Londres ou d’un théâtre». Selon Stéphanie, «la verticalité qui était présente en 2005 avec les balcons, les portes, les escaliers est toujours là. La version proposée au TNM est une sorte de variation de ces prémisses, tout en s’adaptant à la scène du théâtre qui est un peu plus vaste dans ses dimensions.»
La tempête de neige qui souffle pendant toute la durée de la pièce traduit un moment de crise où le roi va peut-être mourir, pendant qu’un autre complote et que les reines évoluent dans un climat assez électrique. «Cette tempête joue sur l’état des personnages, elle est oppressante, “calfeutrante”, isolante: c’est l’approche que Michel et moi avons continué d’approfondir», explique Stéphanie.
Denis souligne également le travail de Ginette Noiseux, la costumière. Selon lui, «les costumes qu’elle a créés renouvellent entièrement la lecture [qu’il en avait] faite lors de la première mise en scène. Ils permettent une lisibilité très rapide de chaque personnage qui est identifié à une couleur, à un motif bien particulier.»
L’imaginaire sans cesse renouvelé au théâtre
Le mot de la fin de nos deux interlocuteurs? «Je pense que c’est beau de voir un auteur qui écrit pour le théâtre et qui a vraiment conscience du plateau et des actrices, et qui a ce plaisir presque enfantin de jeu bien présent dans la pièce, malgré sa gravité et ses résonances dramatiques. C’est intéressant de revenir au théâtre avec cette proposition imaginaire. Le théâtre n’est pas juste une photo de notre monde actuel», s’avance Stéphanie… Avant que Denis complète: «Oui, c’est aussi un lieu de sortilèges, de fantasmagories et de déplacements imaginaires!»
Pour vous évader dans un univers onirique, vous savez ce qu’il vous reste à faire…