«Les gens, les lieux, les choses» de Duncan Macmillan chez Duceppe: un fléau silencieux – Bible urbaine

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«Les gens, les lieux, les choses» de Duncan Macmillan chez Duceppe: un fléau silencieux

«Les gens, les lieux, les choses» de Duncan Macmillan chez Duceppe: un fléau silencieux

Un hommage poignant et puissant mis en scène par Olivier Arteau

Publié le 20 septembre 2024 par Flavie Boivin-Côté

Crédit photo : Danny Taillon

Dans l’univers d’un centre médical spécialisé en traitement des dépendances, nous faisons la rencontre d’Emma, une jeune actrice alcoolique et toxicomane. Cette dernière est polymorphe, mythomane et refuse de se faire soigner ou de dire la vérité sur les causes de sa dépendance. À travers ses yeux intoxiqués, nous accédons à une galerie de personnages, tous plus flamboyants les uns que les autres, qui sont usés par la vie et qui essaient de guérir d’un fléau qui ravage de plus en plus notre société: la dépendance. Dans une mise en scène d’Olivier Arteau, «Les gens, les lieux, les choses», présenté chez Duceppe jusqu’au 12 octobre, est un hommage poignant aux gens touchés de près ou de loin par les ravages de la toxicomanie et de l’alcoolisme.

C’est avant tout le travail titanesque et le jeu physique de la comédienne Anne-Élisabeth Bossé qui m’ont frappée lors de la représentation à laquelle j’ai assistée. Le personnage d’Emma est en effet central dans ce spectacle: elle est toujours présente sur scène et vit chaque étape d’une douloureuse cure de désintox.

Après avoir été sortie de force de la scène pendant son interprétation de Nina dans La Mouette de Tchekhov elle était trop intoxiquée pour se rappeler son texte, et le spectacle a donc dû être interrompu elle décide de se rendre dans un centre de désintoxication.

Emma touche alors le fond du baril. Si elle ne peut plus jouer, elle n’est plus rien.

Dès qu’elle arrive au centre, le public peut voir le corps de la jeune actrice se transformer un peu plus à chaque scène. Elle est tantôt en crise de douleurs, tantôt prise de spasmes, ou alors elle déborde d’énergie, saute partout et crie à pleins poumons…

Photo: Danny Taillon

Emma est une femme drôle, brillante, attachante. C’est d’ailleurs probablement ce qui est le plus difficile en tant que spectateurs: s’attacher aussi fort à quelqu’un qui se fait autant de mal. Emma nous fait rire, nous fait pleurer, nous fait l’aimer. Elle nous exprime ses réflexions sur la mort de son frère et sur ses parents.

Elle nous touche, elle nous nargue.

C’est que dès qu’on pense connaître Emma, on réalise en fait qu’elle nous ment depuis le début. Elle joue un rôle qu’elle maîtrise à la perfection.

Sans issues

Les divers rôles qu’Emma se plaît à jouer sont mis en lumière, dans ce spectacle, par la mise en scène brillante d’Olivier Arteau. Le cadre du centre médical est simple et sobre, mais chaque détail est réfléchi et utilisé à bon escient par les acteurs. Des murs blancs, un lit, un bureau et quelques chaises en métal sont disposés en cercle afin de donner une ambiance réaliste de thérapie de groupe.

En parallèle de sa consommation de drogues et des étapes qu’elle suit dans son processus de rétablissement, un groupe de danseurs, tous déguisés en Emma, et coiffés d’une perruque blonde représentant ses cheveux, viennent reproduire ses gestes sous un éclairage stroboscopique: elle se tord de douleur, vomit, se gratte frénétiquement les bras, tremble,

Les spectateurs ont alors l’impression de la voir en triple ou en quadruple, comme si elle était en pleine psychose.

Un détail fort pertinent qu’on remarque dès le départ, ce sont les nombreux écriteaux “SORTIE” disposés un peu partout dans le centre médical et sur la scène. Plus le spectacle avance, et plus les écriteaux deviennent gros, évidents, et se rapprochent du personnage d’Emma, allant même jusqu’à l’écraser…

Pour les personnes toxicomanes ou alcooliques, la dépendance semble très souvent sans issue, même lorsque l’aide (ou la sortie de secours) est à leur portée.

Photo: Danny Taillon

Un hommage pour les proches des toxicomanes

Si tout tourne autour d’Emma durant le spectacle, ses proches et les gens qu’elle côtoie sont eux aussi extrêmement touchants, et surtout criants de vérité. Malheureusement, il est rare que l’on s’intéresse à la version des faits des proches des toxicomanes.

Comment vivent-ils cette épreuve? Comment la dépendance affecte-t-elle les relations?

Les gens, les lieux, les choses… Le titre de la pièce est inspiré de l’un des fondements de la thérapie que suivent les personnes qui sont traitées en désintoxication. Les gens qui ont déclenché leur consommation ou qui leur rappellent leur dépendance, ainsi que les lieux et les objets qui sont liés à leur dépendance, sont des éléments déclencheurs de rechutes qu’il faut absolument éviter à la sortie d’un centre de désintoxication.

Bien souvent, sans même le savoir, les gens susceptibles de déclencher des rechutes sont des proches, des parents, des amis.

La mère d’Emma, interprétée par Maude Guérin, m’a particulièrement émue. C’est une mère épuisée, attristée, inquiète, mais surtout terriblement blessée par sa fille, qui s’offre à notre regard compatissant.

Au fil du spectacle, chaque patient du centre raconte son histoire de dépendance, et surtout comment celle-ci a affecté les gens qui les entourent. Selon plusieurs intervenants en dépendance, la première étape vers la guérison est l’honnêteté complète quant aux causes et aux répercussions de la dépendance. Qu’est-ce qui cause notre dépendance, et à qui notre dépendance fait-elle du mal? Par ailleurs, plusieurs «vrais» intervenants en dépendance ont assisté à la première de la pièce ce soir-là!

Sans s’en rendre compte, Emma blesse toutes les personnes qui essaient de l’aider. Elle insulte son intervenant Fred (Marc-Antoine Marceau), se met à dos son seul ami au centre, Tom (Charles Roberge) et refuse de coopérer avec sa médecin (Maude Guérin).

Malgré tout le mal qu’elle fait aux autres, c’est à elle-même qu’Emma cause le plus de tort. Elle est forcée de le constater lorsqu’elle revient au centre une deuxième fois et qu’elle prend enfin conscience d’une dure réalité: si elle consomme encore une fois, c’est la mort qui l’attend.

Tout au long de la pièce, nous voulons qu’Emma aille mieux, qu’elle se sorte de sa dépendance et qu’elle puisse retourner sur scène. Le moment de vérité arrive à la scène finale, alors qu’Emma sera confrontée au lieu, aux gens et aux choses qui sont les plus grands déclencheurs de sa consommation.

Réussira-t-elle à prendre le dessus sur ses démons?

Cette pièce à la fois poignante, intelligente et difficile, va assurément marquer celles et ceux qui auront la chance, comme moi, de la voir.

La pièce «Les gens, les lieux, les choses» en images

Par Danny Taillon

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    Photo: Danny Taillon
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