«L’entrevue éclair avec…» Tiphaine Girault, créatrice de La Signécologie au Théâtre Tremplin – Bible urbaine

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«L’entrevue éclair avec…» Tiphaine Girault, créatrice de La Signécologie au Théâtre Tremplin

«L’entrevue éclair avec…» Tiphaine Girault, créatrice de La Signécologie au Théâtre Tremplin

Changer les perspectives pour mieux souder les communautés

Publié le 4 mars 2021 par Mathilde Recly

Crédit photo : Tous droits réservés, Théâtre Tremplin

Dans le cadre de «L’entrevue éclair avec…», Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur sa personne, sur son parcours professionnel, ses inspirations, et bien sûr l’œuvre qu’il révèle au grand public. Aujourd’hui, nous avons jasé avec Tiphaine Girault, bédéiste, traductrice et interprète en langue des signes, qui présente sa création intitulée La Signécologie ce 11 mars à 19 h 30, en collaboration avec le Théâtre Tremplin et SPiLL.PROpagation.

Tiphaine, c’est un plaisir de faire ta connaissance! Peux-tu nous parler un peu plus de toi, de ton parcours et de tes passions? On est curieux d’en savoir plus sur ce qui t’allume et ce qui occupe tes journées!

«Originaire de France, je suis titulaire d’un baccalauréat ès arts en bande dessinée et je communique en français, en anglais et dans deux langues des signes (Langue des signes québécoise (LSQ) et American Sign Language (ASL)). Depuis plus de dix ans, je m’inscris comme artiste professionnelle dans les domaines de la bande dessinée, de la traduction et de l’interprétation en langue des signes, ainsi qu’au théâtre.»

«Je suis également cofondatrice de SPiLL.PROpagation (SPiLL), un centre d’artistes dédié à la création et la production en langue des signes au Canada. Les trois activités artistiques principales de SPiLL – fondé en 2009 par un groupe d’artistes sourd.e.s et non sourd.e.s allié.e.s – sont la création, la production collaborative et la recherche-création.»

«Le projet est né après que Paula Bath, également cofondatrice de SPiLL, est rentrée au Canada suite à une résidence artistique internationale au National Deaf Theatre à Stockholm. Elle a constaté que le paysage artistique suédois, en dépassant le concept de la langue des signes accessible uniquement par la traduction, avait intégré la langue des signes au sein même de l’art et des pratiques théâtrales, créant ainsi une nouvelle esthétique. Nous avons alors décidé d’explorer l’apport des langues des signes à la création au Canada, en organisant des résidences d’artistes nationales.»

Et alors, dans le cadre de SPiLL, comment faites-vous pour rendre vos créations accessibles au plus large spectre de spectateurs possible, qu’ils soient entendants ou non? On aimerait savoir si tu as un exemple précis qui te vient en tête!

«Pour trouver des points communs entre des communautés diversifiées qui ne partagent pas les mêmes langues, cultures et identités, nous devons tracer des chemins ensemble grâce à la communication, au partage de perspectives et au processus de création artistique.»
 
«Par exemple, pour la pièce Un aperçu de moi, présentée en collaboration avec la Ville de Gatineau, j’ai été amenée à expérimenter diverses stratégies linguistiques. Lors de ce projet «carte blanche», nous étions trois interprètes: Peter Owusu-Ansah, Ali Saeedi et moi-même, chacun de nous ayant grandi respectivement au Ghana, en Iran et en France.»
 
«Ensemble, nous utilisions une cascade de langues qui se chevauchaient et nous tissions les histoires de nos joies et de nos peines, de nos réussites et de nos échecs, ainsi que de nos parcours variés en tant qu’immigrants sourds.»
 
«Pour ce faire, nous ne nous basions ni sur des textes précis, ni sur des réadaptations ou traductions quelconques. Cette pièce était présentée en langue des signes américaine (ASL), en langue des signes perse, en langue des signes québécoise (LSQ), en anglais et en français, et mettait en lumière des dessins pour mieux communiquer.»
 
«Ce projet démontrait la beauté de trouver des points communs au milieu de la différence, tout en restant soi-même. Le public dans la salle comprenait partiellement ou pleinement, chaque spectateur essayant d’aller chercher de l’information à sa façon. À travers le processus, le public a ainsi pu ressentir des émotions et se remémorer des expériences semblables vécues dans d’autres contextes, et nous avons pu transformer leurs perspectives.»
 

Dans le cadre de La Petite Création du Théâtre Tremplin, tu t’apprêtes à présenter des extraits d’entrevues filmées avec des membres de la communauté sourde franco-ottavienne. Peux-tu nous parler plus en détail de ce projet, et des grandes lignes de ton travail?

«Dans la région de la capitale nationale, nous avons des communautés LSQ et ASL. La communauté LSQ à Ottawa est différente de celle de Montréal. Nous avons notre accent en LSQ dans la région. Avec Lionel Lehouillier, nous avons abordé beaucoup de sujets ayant trait aux communautés, aux langues, aux cultures et aux sentiments d’appartenance. Je voulais trouver des particularités de la région pour ce projet, en faisant des entrevues avec deux membres de la communauté sourde franco-ottavienne, dont une qui est originaire du nord de l’Ontario.»

«La communauté sourde franco-ottavienne est attachée à la Ville d’Ottawa, car il y a des services francophones LSQ, une communauté, des opportunités d’éducation en français LSQ, ainsi que des opportunités d’emploi accessibles en français LSQ. Je voulais aussi trouver des exemples d’expériences semblables entre les Franco-Ontariens entendants et les Franco-Ontariens sourds LSQ vis-à-vis des anglophones sourds ASL, pour que je puisse trouver un point commun entre les deux communautés distinctes.»

«J’explore aussi l’intersectionnalité des identités avec lesquelles nous travaillons selon la langue, la culture et plusieurs autres critères. Par exemple, pour ceux qui sont sourds et Franco-Ontariens, comment ces identités sont-elles construites? Quelles sont les priorités? Pourquoi vivre à Ottawa?»

La_Signécologie_affiche_Théâtre_Tremplin

Ces échanges enregistrés vont aussi servir de matériel de recherche en vue d’une éventuelle mise en scène de La Signécologie, la Grande Production du Théâtre Tremplin prévue en 2022. Il s’agirait de l’adaptation scénique de l’une de tes BD, et l’idée serait d’explorer ton propre parcours en tant qu’immigrante française et sourde au Canada. Que souhaites-tu mettre en lumière à travers ce spectacle, si le projet a l’occasion de se concrétiser?

«Le but de ce projet est de transformer ce qu’on pense et ce qu’on voit habituellement. Par exemple, la raison de mon immigration n’est pas en lien avec la crise du pays dont je suis originaire ni avec son économie ou sa politique, mais plutôt avec l’opportunité d’éducation et aussi l’accessibilité de la langue que j’avais ici. Je voulais transformer les perspectives. Je me sens épanouie dans mon environnement actuel, puisque je peux utiliser ma langue tous les jours. J’ai pu étudier à l’université grâce aux interprètes LSQ.»

«J’ai pu vivre des expériences riches dans le milieu théâtral grâce aux allié.e.s pour explorer de nouvelles créations esthétiques. Avec Paula Bath, qui est ma dramaturge pour le projet de La Signécologie, nous parlons des différentes perspectives et des différentes idées de communication, afin de trouver des points communs qui parleraient à toutes les communautés. Ici, je voulais faire des expérimentations visuelles avec la marionnette, en utilisant seulement l’humour et des concepts du style de la bande dessinée comme des codes universels: communication non verbale, symboles, différents plans, actions et absence de son, pour inciter le spectateur à observer. Mais vous ne verrez pas encore la marionnette se transformer au cours de l’histoire…»

À court ou à moyen terme, quel.s sont tes prochain.s projet.s artistiques, et comment vois-tu l’intégration des langues des signes se développer sur la scène artistique ottavienne?

«À la suite de mon expérience en tant qu’assistante à la mise en scène pour la pièce The Tempest à Citadel Edmonton, sous la direction de Josette Mingo-Bushell, j’ai beaucoup appris. Le but de ce spectacle n’était pas de traduire Shakespeare mot pour mot vers la langue des signes ni de mettre de côté l’interprète-traducteur. Nous avons exploré le théâtre, tout en gardant notre langue et notre culture. C’était une pièce exceptionnelle.»

«Nous aimerions voir plus de spectacles comme celui-ci – ou bien comme Prince Hamlet du Why Not Theatre – être présentés au public. Nous aimerions en voir plus aussi en français et en LSQ, à Ottawa et ailleurs. Il est important d’avoir plus de communautés peu représentées au sein de la production, afin de développer de nouvelles esthétiques artistiques. Le rôle des alliés est très important pour aller chercher des talents de divers horizons. Avoir de bons modèles est important pour nos communautés!»

Pour assister à La Signécologie, présentée sur la page Facebook du Théâtre Tremplin ce 11 mars à 19 h 30, rendez-vous ici!

*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre Tremplin.

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