ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Tous droits réservés @ Théâtre Tremplin
Lionel, on est curieux! Il semble que tu sois très impliqué dans différentes sphères et disciplines artistiques telles que le théâtre et les marionnettes, et on a appris que, depuis 2019, tu es à la tête du Théâtre Tremplin à Ottawa. Peux-tu nous en dire plus sur tes fonctions en tant que directeur artistique de cette troupe communautaire franco-ontarienne?
«Dans le fond, je suis venu à la tête du Théâtre Tremplin en 2019 avec l’idée de mettre l’accent sur le mot communautaire. Non dans le sens d’amateur, mais bien de communauté.»
«C’est un mandat de 4 ans, alors je me suis donné comme tâche de savoir ce que c’était d’être franco-ontarien. J’ai voulu aller à la rencontre de plusieurs communautés francophones peu représentées.»
«D’un point de vue plus pratique, je programme des spectacles, je vais à la rencontre d’artistes de la relève, j’essaie de mettre de l’avant plusieurs types d’artistes, tout en les accompagnant dans leur processus de création.»
Pour le prochain spectacle que vous allez présenter sur Facebook ce vendredi 21 août à 19 h 30, Albert N., qu’est-ce qui a amené le Théâtre Tremplin à opter pour une formule radio-théâtre avec accompagnement visuel, plutôt qu’une formule dite «traditionnelle» de théâtre retransmise sur les réseaux sociaux?
«Il y a deux volets. Le premier: étant donné que c’était ma première année à la tête du Théâtre Tremplin, je trouvais ça vraiment poche de clore mon année 1 de direction artistique sur une annulation. Alors, d’un point de vue égoïste, je ne voulais pas annuler.»
«Deuxième volet (un peu moins égoïste): étant donné qu’il y avait une pandémie, je trouvais ça dommage de dire à une gang d’acteurs qui font ça gratuitement qu’ils ne pourraient pas monter sur scène. Pour le communautaire, le cachet, c’est les applaudissements, et c’est poche de leur enlever ça.»
«Pour la manière de diffuser le spectacle, je me disais que le radio-théâtre avait déjà été très populaire, et donc que ce serait une bonne alternative. Pour les conceptrices responsables des décors et des costumes, je trouvais dommage de leur dire qu’elles n’avaient plus de job. Elles auraient quand même été payées, mais j’ai voulu qu’elles terminent le projet avec nous. C’est pourquoi je leur ai demandé de faire un accompagnement visuel à la place, et heureusement, elles ont accepté!»
«Aussi, ce qui est agréable avec une plateforme virtuelle et les réseaux sociaux, c’est que la portée est plus grande! On peut rejoindre des gens ou des communautés pour qui aller au théâtre «traditionnel» en temps normal est moins accessible.»
Le texte Albert N. a été adapté pour la scène par l’artiste multidisciplinaire Hedwige Herbiet au Centre national des arts à Ottawa en 1985, d’après une nouvelle de l’auteur irlandais George Moore, parue en 1918. Parle-nous brièvement de l’histoire et de ce qui t’a particulièrement attiré à travers celle-ci.
«Avec la pièce, je voulais aller chercher des communautés moins représentées. La première était la communauté queer. Moi-même étant une personne queer et trans, je trouvais que Albert N. était un texte qui posait de bonnes questions. Oui, sur l’identité, mais aussi sur la place de la femme.»
«George Moore a écrit la nouvelle en 1918 pour dire à quel point le traitement social de la femme était problématique. Dans la pièce, Albert préfère se faire passer pour un homme pour avoir les avantages sociaux qui accompagnent ce statut plutôt que d’être citoyenne de seconde classe en tant que femme.»
«De nos jours, Albert N. soulève d’autres questions identitaires. On pourrait se demander si le personnage ressent un inconfort avec son statut de femme, ou plutôt avec son identité de femme. Albert N. ne répond pas à la question, mais soulève des problématiques en lien avec une société misogyne et patriarcale.»
Il y a dix acteurs impliqués dans ce prochain spectacle, ça en fait du monde! Comment avez-vous géré la préparation et les répétitions de cette production au cours des derniers mois?
«Au début, on a eu des répétitions en personne, comme lors d’un processus normal. Puis, lorsque la pandémie a frappé, on a voulu attendre de voir ce qui se passerait. On disait 14 jours, puis trois semaines, puis le confinement n’arrêtait pas d’être rallongé.»
«Quand on a décidé d’aller de l’avant avec le projet, mais de changer sa forme, on a décidé de faire une mise en voix au lieu d’une mise en scène. J’ai appris sur le tas qu’elles étaient très différentes l’une de l’autre. Il a fallu recommencer à zéro, puisqu’on ne pouvait plus se fier aux notes de mise en scène. Ça nous a pris beaucoup de temps, comme c’était nouveau pour tout le monde.»
«Pour les enregistrements, c’était assez intéressant comme processus, parce qu’on était à la phase 1 du déconfinement. Ce qui est arrivé, c’est qu’Amaranta, la comédienne qui joue le rôle-titre dans Albert N. et qui s’est chargée des enregistrements, a rencontré tous les acteurs un par un pour enregistrer leur trame unique, pour ensuite faire le montage sonore. Puisqu’ils ne pouvaient pas être plus de deux, j’étais branché sur Zoom pour diriger les acteurs. Entre chaque personne, Amaranta désinfectait tout l’équipement et le réutilisait ensuite.»
«Ce qui était spécial, c’est que nous sommes situés près de la frontière entre l’Ontario et le Québec et que les ponts étaient fermés. Il a fallu s’assurer de respecter toutes les règles, comme attendre que les ponts rouvrent et rester à distance.»
«Finalement, entre temps et à cause de la crise, plusieurs membres de l’équipe de production et de comédiens ont dû se relocaliser. On a dû gérer un problème de distance où certains étaient rendus à Saint-Hyacinthe, Laval, Kingston ou même London. Zoom nous a vraiment sauvé la vie.»
Dans un contexte aussi particulier que celui qu’on vient de traverser, quel a été le plus grand défi du Théâtre Tremplin à l’ère de la COVID-19 pour continuer de faire vivre la création artistique, malgré les mesures sanitaires imposées?
«TOUT PRENAIT PLUS DE TEMPS. C’est pour ça que ça nous a pris autant de temps pour trouver une date de sortie, parce qu’à cause de la crise sanitaire, tout prenait le double ou le triple du temps.»
«Le plus gros défi, c’était de ne pas savoir quand on terminerait le projet et quand on pourrait le présenter. Pendant longtemps, on ne savait pas non plus comment le présenter. Ma job comme directeur artistique, c’était de rassurer les gens, leur dire que tout allait bien aller et de ne pas s’inquiéter.»
«Mais moi, je ne savais pas plus ce que je faisais et je paniquais autant que les autres. Ça m’est arrivé quelquefois que des concepteurs ou que des gens de l’équipe m’appellent en paniquant pour dire que ça prenait plus de temps que prévu, qu’ils ne pourraient pas respecter l’échéancier, qu’ils ne savaient pas si ça allait être bon, ou encore qu’ils ne savaient tout simplement pas quoi faire. Tout était nouveau pour eux et pour moi.»
«Personne ne savait comment ou si on allait se rendre au bout du projet. Ça soulage d’avoir fini, de voir qu’on a réussi et d’être fier du résultat. C’est une pièce que je n’oublierai jamais, parce qu’en voyant le produit final, je vois tout le travail acharné d’une équipe d’artistes de la relève tous très talentueux.»