ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Arach'Pictures - Najim Chaoui - Sur la photo: Les Productions Menuentakuan
Marco, à l’aube du grand lancement des Autochtoneries, on se doute que tu es sûrement très occupé! Tu es acteur, interprète et l’un des trois co-directeurs artistiques des Productions Menuentakuan, qui se donne comme mission «d’être un point de rencontre entre la culture des Premières Nations du Canada et les autres cultures qui viennent enrichir l’identité canadienne et québécoise». On est curieux: parle-nous brièvement de ton parcours professionnel et de ce qui t’allume dans le cadre de ton travail.
«J’ai longtemps travaillé dans le domaine des communications. À un certain moment, j’ai ressenti le désir de raconter des histoires qui me ressemblent, qui m’inspirent. J’adore être dans la création, avec des gens qui, comme moi, sont curieux, généreux et audacieux. Et le domaine théâtral est pour moi un endroit où l’on peut encore aller questionner et se questionner sur des sujets tabous.»
«Codirecteur artistique du Théâtre Aux Écuries depuis bientôt deux ans auprès de mes neuf acolytes, nous sommes heureux d’avoir créé le festival Les Autochtoneries d’Aux Écuries! Nous souhaitions avoir un endroit qui nous permette de discuter de sujets que nous ne sommes pas trop capables d’aborder en général, compte tenu de la polarisation des positions de tou·te·s et chacun·e. Ce festival se veut justement un endroit pour parler et se demander qui on est, ensemble.»
«Je crois qu’il faut garder des endroits où la communication peut rester ouverte, même si on n’est pas d’accord tout le temps. C’est un de mes sentiments en tant que créateur.»
Et comment vous êtes-vous rencontrés, Charles Bender, Xavier Huard et toi, et qu’est-ce qui vous a motivé, en 2013, à lancer votre collectif, devenu, entre-temps, les Productions Menuetakuan, suite à l’engouement du milieu théâtral québécois?
«C’est parti d’un désir de raconter des histoires qui nous ressemblent.»
«J’ai rencontré Xavier pour aider un ami à intégrer l’École nationale de théâtre du Canada et, après discussion, on s’est dit que nous devrions écrire quelque chose ensemble, aller plus loin. Ensuite, une rencontre avec Charles Bender, que je connaissais déjà, a été le point de départ.»
«L’envie de créer une compagnie est vite arrivée et rapidement est né Muliats, notre premier spectacle. L’intérêt du milieu artistique à notre égard a amplifié notre envie de vouloir aller plus loin; de pouvoir permettre à des artistes qui n’avaient pas nécessairement d’appel d’avoir une porte d’entrée pour pouvoir s’exprimer.»
«Avec l’ouverture d’esprit et la grande sensibilité des spectateur·trice·s, des artistes et des pairs qui nous entourent, on a continué et nos productions ont eu une portée qui a intéressé les gens.»
Du 11 au 21 avril, Les Autochtoneries, un festival commissionné par les Productions Menuentakuan, prend possession – c’est vous qui le dites! – du Théâtre Aux Écuries, «pour célébrer et faire rayonner la diversité de l’art théâtral autochtone. Il réunira jeunes et moins jeunes artistes autour d’œuvres touchantes, sacrées et aussi irrévérencieuses que drôles. » Parle-nous des moments forts de votre programmation, des thématiques et artistes présents!
«J’ai écrit et je mets en scène une pièce qui s’appelle Mashinikan, qui veut dire le Livre. On la coproduit avec le Théâtre La Rubrique. C’est l’histoire d’une Kukum, une Grand-mère, qui va donner un livre écrit par son fils à sa petite-fille, vingt ans après la disparition de celui-ci. Cela traite d’histoire de famille, avec ses vérités et ses secrets.»
«Aussi, nous voulions que les spectateur·trice·s découvrent l’effervescence du désir des peuples autochtones de se raconter de leurs points de vue. L’art est bien présent chez nous, et nous voulons que ça se sache! Dans cette lignée, il ne faut pas manquer UTEI: Récit d’un survivant, qui sera joué deux fois le samedi 20 avril, et qui retrace le parcours d’Omer St-Onge, Innu de Maliotenam et survivant des pensionnats autochtones.»
«Également, des rencontres auront lieu avec des artistes. Le vendredi 12 avril, Émilie Monnet, Waira Nina et Soleil Launière se réuniront pour questionner les dramaturgies autochtones contemporaines, et Catherine Boivin et Aroussen Gros-Louis partageront ensemble leurs points de vue sur les danses culturelles et contemporaines le 19 avril.»
«Ces deux rencontres sont gratuites et ouvertes à tou·te·s.»
Comme tu le dis, s’il y a bien un spectacle phare à voir à l’occasion des Autochtoneries et que nos lecteurs et lectrices ne doivent pas rater, c’est Mashinikan – Le livre, dont tu signes la mise en scène, et qui est coproduit avec le théâtre La Rubrique de Jonquière. Cette création laisse planer plusieurs interrogations: «Un livre peut-il être vivant? Peut-il rapprocher les gens d’une même famille? Comment une grand-mère Innue, une Kukum, en arrive-t-elle à révéler une vérité qu’elle est seule à détenir?» Glisse-nous donc quelques mots sur ce spectacle, et pourquoi c’est un incontournable de votre programmation, selon toi?
«Dans l’ADN de notre compagnie, Les Productions Menuentakuan, nous aimons travailler entre allochtones et autochtones pour se poser de vraies questions sur notre rapport à nous, et aux autres.»
«Je me suis toujours demandé quelle place j’avais dans le paysage artistique québécois. Avec Mashinikan, j’ai voulu voir comment des interprètes québécois, blancs, pouvaient prendre l’identité de l’autre, et vice versa. Je dois dire que cela est fascinant. Les Autochtones sont joués par des Québécois, et les Québécois par des membres de la diversité, ou par des Autochtones. J’aime voir l’ouverture des comédien·ne·s qui sautent dans l’aventure et qui nous font réfléchir. Quelle est notre réelle relation? Cela m’intrigue. Dans cette proposition, il est intéressant de voir l’audace et l’abandon qui se dégage de ce parti-pris. Le questionnement se voit sur scène.»
«Les comédien·ne·s blancs ont joué le jeu de parler ma langue maternelle, l’ilnu. Ça marche, et je trouve ça audacieux de leur part.»
Soyons fous: si on t’offrait la chance de réaliser un de tes vœux les plus chers, en lien avec tes racines, ta culture, ta passion pour le théâtre et la performance, quel serait-il, sachant que tout est possible et qu’il n’y a aucune limite à ton imagination!
«Pour moi, ce serait de créer une pièce complètement en ilnu (innu chez d’autres communautés, mais chez nous on dit ilnu). Avec des sous-titres, évidemment. Jouer avec nos codes et les partager.»
«J’ai vu des spectacles dans des langues que je ne connaissais pas et cela m’a ému; j’avais compris le sens du spectacle. Alors oui, ce serait l’un de mes plus grands souhaits.»
«Et de travailler avec plein de monde de divers horizons et de diverses nations. Je crois que c’est mon rêve au théâtre. À part ça, le jour où l’on arrête de rêver, on perd pas mal de choses, hahaha!»