ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Stéphane Bourgeois
Versant tantôt dans la gravité, tantôt dans un humour lumineux, on reconnaît à Tremblay deux terrains de prédilection: celui des femmes – nommément les «matantes», les mères, spécialement celles qui évoluaient sur le Plateau – d’une part, et celui du monde interlope, marginal d’autre part.
Tandis qu’on préférait souvent occulter la réalité respective à chacun de ces groupes, l’auteur a plutôt eu l’audace d’aborder frontalement certaines vérités difficiles à travers ses œuvres. À ce titre, dans Le vrai monde?, il dépeint la vie d’une famille qui dissimule tant bien que mal les squelettes que recèle son placard. Or, un jour, le personnage de Claude, jeune écrivain, décide d’écrire une pièce mettant en scène… sa propre famille, à savoir son père Alex, sa mère Madeleine et sa sœur Mariette. Impossible, au passage, de ne pas effectuer le rapprochement entre Claude et Tremblay lui-même lorsqu’il en était à ses premiers balbutiements créatifs.
La réalité fragmentée
Ainsi, Le vrai monde? comprend une mise en abyme: deux versions – ladite «réalité» et la pièce écrite par le personnage de Claude – s’opposent. Claude pourvoit les personnages de sa pièce du courage nécessaire pour prendre certaines décisions et pour livrer des aveux à Alex. De fil en aiguille, alors qu’initialement les deux versions semblent cheminer parallèlement, elles se feront écho.
Il nous tardait de découvrir la vision de Marie-Hélène Gendreau, metteure en scène chevronnée de Québec et omniprésente sur la scène théâtrale. La directrice artistique du dynamique Théâtre Périscope a su habiter la vaste scène du Trident: côté Jardin, l’espace est (à juste titre!) envahi de roses, tandis que côté Cour, les bières vides s’amoncellent. Reflet saisissant de la réalité fragmentée, de ces îlots détachés sur lesquels dérive chaque membre de la famille.
Des enjeux intemporels
Dira-t-on du texte de Tremblay qu’il a mal vieilli? Certes, le modèle pourvoyeur-ménagère est suranné. Désormais, les femmes ayant investi la sphère publique, elle se dérobent à la solitude à laquelle était livrée Madeleine, confinée dans son foyer.
Ainsi, si certaines situations de la pièce ne se transposent pas dans la réalité actuelle, on est néanmoins happé par le propos de Tremblay: du «vacarme» du silence évoqué par Madeleine, de Mariette qui a «cessé d’être une petite fille» suite à un geste posé par son père, de cette douleur qu’inspire à Claude l’inaptitude d’Alex à s’aventurer dans le champ du sentiment…
«C’est à la cime du particulier qu’éclot l’essentiel», écrivait Proust. Non seulement le quotidien relaté par Tremblay décrit des situations concrètes susceptibles d’en avoir affecté d’aucuns directement, mais ces scènes familiales sont pétries d’angoisses et de questionnements qui nous habitent toutes et tous.
De solides piliers au sein de la distribution
Parmi les membres de la distribution, les deux mères (Anne-Marie Olivier et Nancy Bernier) sont simplement désarmantes, et on abondera dans le même sens en ce qui a trait à Ariel Charest, la Mariette «fictive». On souhaite ardemment renouer avec son immense talent dans de prochaines productions. Quant à la ressemblance confondante entre les acteurs incarnant respectivement le père «fictif» (Jean-Michel Déry) et «réel» (Christian Michaud), elle contribue à brouiller la délimitation entre ce qui appartient à la réalité et à la pièce de Claude.
Quant au personnage de Claude, on ne doute pas du potentiel créatif et du talent de Jean-Denis Beaudoin; toutefois, le jeu de ce personnage autour duquel pivote en quelque sorte la pièce a quelque chose de mal huilé. Un peu plus de chaleur aurait sans doute contribué à persuader davantage le public.
Le vrai monde? est à voir.
«Le vrai monde?» au Théâtre du Trident en 7 photos
Par Stéphane Bourgeois
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