«La réunification des deux Corées» au théâtre La Bordée – Bible urbaine

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«La réunification des deux Corées» au théâtre La Bordée

«La réunification des deux Corées» au théâtre La Bordée

Une impasse, celle de l’incommunicabilité

Publié le 24 septembre 2018 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Pierre-Marc Laliberté

Variations sur le thème de l’absurde, et de nos vains efforts pour entrer en contact avec les êtres aimés. L’ampleur des malentendus par lesquels se soldent les scènes dans La réunification des deux Corées n’a d’égale que l’avidité des personnages à communiquer avec l’autre.

Électrisante, cette pièce de Joël Pommerat, d’autant plus que certaines répliques tranchantes assènent de véritables décharges aux spectateurs-rices. Ceux-celles-ci se projettent aisément dans le vécu des membres de cette vaste galerie de personnages – près de cinquante!

Pourtant, les traits sont grossis et les situations dépeintes sont décalées par rapport à la réalité dans laquelle nous évoluons. Or, l’absurde, au fur et à mesure que les personnages s’enlisent dans les malentendus, a cette faculté de révéler l’aspect irraisonné que revêtent certains de nos gestes.

Un enchaînement dynamique de sketchs  

Pommerat s’est appliqué à montrer l’incommunicabilité dans plusieurs contextes à travers une série de sketchs. Tout y passe (ou presque): rapports amoureux et-ou strictement sexuels, hétérosexuels ou homosexuels, relations d’amitié ou entre voisins, liens familiaux…

Une telle forme prive du plaisir que l’on éprouverait à s’attacher aux personnages. En revanche, cette multiplication de contextes à travers les courtes scènes révèle la portée universelle des enjeux de la pièce. L’incommunicabilité scellerait ainsi le sort de nombre d’entre nous, dans une variété de situations.

Malgré le dynamisme qu’insuffle la forme de sketchs à la pièce, force est d’admettre qu’on dégage difficilement une évolution au fil de celle-ci. Certaines scènes bouleversent, certes: notamment, dans l’une d’entre elles, un enseignant échoue à clarifier l’amour qu’il éprouve pour un de ses élèves auprès des parents atterrés de celui-ci. Il en est de même pour une scène dans laquelle un homme et une femme prétendent avoir un enfant simplement pour entretenir leur couple, lequel leur «tient lieu de vie: c’est comme un être vivant». Autant de tableaux qui reconduisent un même enjeu: celui du mystère opaque intrinsèque à l’amour, de ses voies insondables.

Le réunification des deux Corées a toutefois quelque chose de curieusement circulaire. Un immense fardeau de preuves – accablantes – de notre impotence en matière de communication s’amoncèle au fil de la pièce. Or, on discerne difficilement une évolution ou une direction vers laquelle tendrait le propos. Le couperet de la fin aurait ainsi pu s’abattre à d’autres moments étant donné une apparente absence de progression. Cela étant, l’auditoire ne s’ennuie pas pour autant.

Une pièce reposant sur des dialogues remarquables

Outre quelques artifices, la mise en scène de Michel Nadeau ne fait pas dans l’extravagance. C’est sur les dialogues échangés entre des acteurs-rices remarquables et dynamiques que se centre l’attention. Pour marquer la distinction entre les scènes, quelques pans de murs sont pivotés, et certains accessoires sont ajoutés: ainsi est-on parvenu à décliner l’amour dans une série de contextes diversifiés.

Un tableau dans lequel un chanteur ambulant entonne un air d’Anthony and the Johnsons tandis que les autres personnages gravitent autour de lui est présenté à quelques reprises. Bien qu’il s’en dégage une grande douceur, on est désarçonné de constater combien cette tendresse tranche avec la rudesse des dialogues par ailleurs. Un peu mièvre, en conviendra-t-on. A-t-on souhaité restaurer le sentiment d’espoir du-de la spectateur-rice face à la fatalité qui semble s’abattre inéluctablement lorsque nous nous aventurons dans le champ amoureux?

C’est pourtant cet effort de bousculer, de traquer l’intime, l’essentiel, de louvoyer devant les lieux commun, qui nous rend si admiratifs-ves envers le talent de Joël Pommerat. À ce titre, lors de l’édition 2016 du Carrefour international de théâtre de Québec, haut-lieu de moments théâtraux magiques, Cendrillon avait ébloui le public de Québec. Comme pour La réunification des deux Corées, l’humour y lubrifiait notre exploration du mystérieux sentiment humain.

L'événement en photos

Par Pierre-Marc Laliberté

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