ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marlène Gélineau-Payette
Mais comment réagirait quelqu’un qui, par idéalisme, par intellectualisme, par éthique même, aurait fait le choix de vivre sobrement, avec empathie et considération pour le sort de sa société? Comment s’adresserait-il à quelqu’un de bien à l’aise, qui participe ouvertement et sans complexes à la prolifération du capitalisme sauvage, quelqu’un qui creuse avec allégresse, presque de ses mains nues, l’écart sans cesse grandissant entre les riches et les pauvres?
Pierre Lefebvre, écrivain et intellectuel, s’est posé la question. Et il a rédigé une lettre adressée à un homme d’État, un interlocuteur interchangeable, un jet épistolaire authentique et sincère, qui n’était pas destiné, de prime abord, à être transposé sur une scène. Le texte, publié chez Écosociété, est ainsi résumé par son éditeur: «Quelqu’un possédant peu écrit une lettre à quelqu’un qui possède beaucoup».
Avec un vocabulaire impitoyablement précis, un étalage étourdissant de formules de politesse, de détours, de parenthèses, d’apartés, d’observations et d’anecdotes, l’auteur de la lettre plonge au cœur de son âme plutôt altruiste en dénonçant l’indécence, les dérives et l’impudeur, mais aussi l’impact de certaines décisions gouvernementales sur le pauvre, le citoyen impuissant, qui doit vivre avec les conséquences parfois «kafkaesques» de certaines lois.
Ielles sont quatre sur scène, à incarner cet individu en colère, mais pas que; ce rédacteur surtout «à boutte» de subir et qui veut tout simplement dialoguer avec quelqu’un au pouvoir pour lui partager sa perspective.
Avec beaucoup d’esprit, une constante rigueur dans l’interprétation, et des mouvements de danse qui vont du très subtil (Alexis Martin et Tania Kontoyanni) au plus assumé (Ève Pressault et Madani Tall), les interprètes se succèdent et apportent au texte des petits bouts de leurs personnalités respectives.
Cette mise en scène de Benoît Vermeulen, très axée sur le mouvement minimaliste et les petites subtilités, passe outre les meubles et accessoires pour laisser toute la place au corps et à la parole. Si une image vaut supposément mille mots, les mots de Pierre Lefebvre valent leur pesant d’or, et son exploration de l’art épistolaire et de la contestation résonne.
On espère donc que ce texte, qui est passé par le FTA l’an dernier et qui est revenu pour quelques jours au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui fin novembre, n’a pas dit son dernier mot.
La pièce «Le virus et la proie» en images
Par Marlène Gélineau-Payette
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