ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Danny Taillon
La nouvelle création de Lepage est bourrée de prouesses techniques et de moments impressionnants, mais fait globalement peu de place à l’émotion ou à la dramaturgie. Il s’agit d’une série de vignettes biographiques retraçant les rencontres marquantes et l’évolution de la carrière de Jean-Paul Riopelle, avec une emphase particulière sur sa relation houleuse avec Joan Mitchell.
C’est d’ailleurs très intéressant que sa perspective prenne autant de place dans le récit, car ça nous donne une perspective féminine sur la vie du peintre, en soulignant l’attitude de Riopelle envers les femmes, remettant les pendules à l’heure sans toutefois prendre la forme d’un règlement de comptes.
On constate rapidement que l’emphase demeurera braquée sur les rencontres et les moments passés avec d’autres artistes, dont l’histoire a retenu les noms, faisant complètement abstraction du «petit peuple», et donnant un indubitable aspect anecdotique à l’ensemble.
Il faudra attendre de longues heures pour revenir sur terre, dans une petite boutique d’encadrement de la métropole, pour éprouver un petit malaise devant la danse de séduction de Riopelle, paon flétri dans son gros manteau de fourrure, qui s’impose à Huguette, la caissière qui deviendra sa dernière compagne.
Des étincelles dans les yeux
Admettons cependant qu’il est fascinant de voir se dérouler tous ces événements charnière, témoignant de l’effervescence artistique de l’époque, du brouhaha festif et émerveillé de l’éducation aux réunions décisives du groupe d’artistes dont Riopelle faisait partie avec Mousseau, Leduc et Borduas, et qui finira par écrire et signer le Refus global, un manifeste important pour notre histoire collective.
L’aspect le plus fascinant demeure sans doute la galerie époustouflante de personnages, interprétés par seulement neuf comédiennes et comédiens. Un tour de force. Noémie O’Farrell et Étienne Lou, entre autres, s’effacent admirablement dans leurs nombreuses personnifications, et Anne-Marie Cadieux est pétrifiante de justesse dans la peau de Joan Mitchell.
Comme toujours, le temps est élastique et ne laisse pas sa marque; nous restons un peu surpris quand survient un entracte, et nous replongeons volontiers dans l’univers féérique de la création et des prises de bec une fois celui-ci terminé.
L’ensemble demeure fort efficace et comporte même des moments de grâce, comme lorsqu’un couple patine sur scène, ou quand Riopelle survole le Grand Nord en Cessna. Ce sont ces images frappantes qui élèvent l’expérience au-dessus de la biographie théâtrale, et font du projet une expérience imparfaite, certes, mais qui demeure forte et mémorable.
«Le projet Riopelle» de Robert Lepage en images
Par Danny Taillon
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