«Les employés» de Cédric Delorme-Bouchard au Théâtre Prospero – Bible urbaine

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«Les employés» de Cédric Delorme-Bouchard au Théâtre Prospero

«Les employés» de Cédric Delorme-Bouchard au Théâtre Prospero

Un petit bijou de science-fiction à voir absolument!

Publié le 4 mai 2023 par Guy-Philippe Côté

Crédit photo : Simon Gauthier

En 2018, Lea Gulddite Hestelund présentait son plus récent projet, «Consumed Future Spewed Up as Present». Cette œuvre était en gros une exposition de divers objets du quotidien. Or, ces derniers ressemblaient plutôt à la vomissure d’un futur utopique des années 1980! Olga Ravn, poétesse danoise, a écrit pour l’occasion un roman de science-fiction basé sur les objets de la création d’Hestelund, intitulé «Les employés». C’est ce texte que Cédric Delorme-Bouchard, connu pour sa pièce «Lamelles» présentée à l’Usine C en 2018, a mis en scène pour sa production la plus récente avec la compagnie La Chambre Noire.

Que faire quand tes androïdes développent une conscience propre à eux?

Les employés, c’est un mélange de trois œuvres: il y a d’abord la lenteur de Deafman Glance de Robert Wilson puis les robots qui atteignent une conscience supérieure aux humains de 2001: A Space Odyssey d’Arthur C. Clarke. Pour les néophytes, soit dit en passant, c’est le livre sur lequel est basé le film éponyme de Stanley Kubrick. Il y a finalement la poésie de Do Androids Dream of Electric Sheep? de Philip K. Dick. C’est d’ailleurs ce livre qui a inspiré le Blade Runner de Ridley Scott.

Plus précisément, l’histoire est divisée sous la forme d’un journal de bord. L’action se déroule à bord d’un vaisseau spatial, le 6000e vaisseau. À bord se trouvent des employés divisés en deux classes: d’un côté, il y a les êtres humains qui peuvent mourir et qui s’ennuient de la Terre, et de l’autre, il y a les ressemblants, des androïdes nés adultes avec la fonction de travailler. Ceux-ci ont la particularité de pouvoir être mis à jour de manière intermittente, ce qui les rend immortels.

Et tous ont un travail. Ils notent leur interaction avec une série d’objets technologiques. Le problème, c’est que ces objets semblent agir sur la psyché des employés! Les êtres humains commencent donc à être malades. Les ressemblants, pour leur part, développent le désir de se rebeller contre leurs maîtres humains. Le tout mène à un meurtre et à l’élimination de l’équipage du 6000e vaisseau…

En somme, c’est comme si HAL-9000 de 2001: A Space Odyssey aurait développé la sensibilité d’un Réplicant de Do Androids Dream of Electric Sheep? qui prémédite un meurtre comme la mère de Deafman Glance de Robert Wilson! Bon, maintenant que mes allusions de geek de science-fiction sont passées, parlons de l’adaptation de Cédric Delorme-Bouchard.

Je ne peux préciser à quel point je suis ravi de voir une autre œuvre de science-fiction sur scène. Au sein de l’histoire théâtrale québécoise, c’est un genre qui a été attaqué à maintes reprises. De nos jours, il semble y avoir un superbe intérêt pour cette forme (je pense ici au répertoire de la joyeuse bande du Théâtre du Futur, à Seeker de Marie-Claude Verdier, La singularité est proche de Jean-Philippe Baril-Guérard, et j’en passe).

Je n’ai qu’une chose à dire sur l’œuvre de Ravn: le dernier quart de l’histoire s’étire un peu trop à mon goût. Sinon, je comprends pourquoi la critique a encensé ce livre. De la sensibilité poétique d’Olga Ravn se dégagent des moments de vulnérabilité d’androïdes qui m’ont fait vivre beaucoup d’émotions.

Un fantasme de technique de scène

Pour le spectacle en tant que tel, la lumière de Les employés sert de scénographie. Imaginez: vous êtes plongé∙e dans le noir dès le début du spectacle. Un faisceau rouge avec un son de laser entre en scène. Une voix énonce l’un des enregistrements du journal de bord du 6000e vaisseau. Le rayon écarlate s’éteint et un autre s’allume. Un autre enregistrement du journal de bord se fait entendre. Après quelques messages suivant la même formule, une ombre s’avance du fond de la scène. C’est un acteur. Il bouge autour du faisceau lumineux. Et puis, plus tard, un meurtre nous prend par surprise…

Le reste du spectacle est un éclairage brumeux à travers lequel des corps qu’on devine être les carcasses des ressemblants qui sont empilés au milieu de la scène. Vous devinez, grâce aux derniers enregistrements audio, que l’équipage au complet a été décimé et que le vaisseau est devenu une sorte de bateau fantôme.

Finalement, un dernier communiqué audio, une espèce de bouteille à la mer pour le futur, est alors émis. Ce message est rempli d’espoir pour le futur. Une lumière du fond de la salle vous englobe. Vous comprenez à ce moment que ce message est… pour vous!

Sincèrement, c’est le spectacle le plus impressionnant d’un point de vue technique que j’ai eu la chance de voir cette saison.

Quand l’interprétation devient performance

Au niveau du jeu des acteurs, c’est là que se trouve l’influence de Robert Wilson. Ce metteur en scène est entre autres connu en partie pour ses acteurs qui bougent d’une manière extrêmement lente.

Les corps au sein de la distribution – mentionnons la présence de Mélanie Chouinard, Jennyfer Desbiens, Myriam Foisy, Jonathan Malenfant et Alexis Trépanier – bougent avec une lenteur et une précision qui vient accentuer chaque micromouvement des acteurs. Par exemple, ce jeu combiné avec les messages audio donne une corporalité à ces voix désincarnées et fait en sorte qu’un geste émit en même temps qu’un désir de mort de ces voix peut transmettre une émotion vive au spectateur.

En bref, si vous avez la chance d’aller voir cette pièce, allez-y. Ça vaut vraiment la peine!

La pièce «Les employés» en images

Par Simon Gauthier

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