ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Basée sur le roman du même nom de l’auteur russe Mikhaïl Boulgakov, la pièce, adaptée librement par le dramaturge Louis-Dominique Lavigne, propose une biographie romancée de la vie de Molière, de même qu’une véritable méditation sur le théâtre, avec son pouvoir, ses promesses et ses multiples manifestations.
«Cette libre adaptation de Louis Dominique Lavigne fait dialoguer Molière et Boulgakov, qui évoquent leurs relations avec le pouvoir, les censeurs, le théâtre. On y croise aussi Corneille, La Fontaine et Racine… Une savante mise en abyme où la satire et la verve de l’auteur sont magnifiées par la fougue de l’adaptateur.» – Michelle Chanonat, rédactrice indépendante
Je préfère toutefois vous aviser: ici, vous n’assisterez pas au spectacle. L’équipe du TNM vous réserve une tout autre surprise!
Un regard inédit sur la réalisation théâtrale
Co-réalisé par Lorraine Pintal et Robin Pineda Gould, le laboratoire Prologue au Roman de monsieur de Molière nous transpose au cœur de la préparation du spectacle en présentant un éventail de moments inédits en coulisses, et bien sûr l’implication des artisans, qui travaillent avec passion afin de rendre vivante et dynamique l’œuvre en devenir.
Je l’avoue, au moment du visionnement, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, mais j’ai été agréablement surpris par l’omniprésence de la «signature documentaire», qui montre en alternance les répétitions des acteurs et leur interprétation devant une salle vide. En parallèle, le spectateur bénéficie d’un accès privilégié aux coulisses du théâtre et peut facilement aller à la rencontre des acteurs qui, lors des séances de maquillage ou d’essayage de costumes, discutent avec la directrice artistique et metteure en scène Lorraine Pintal, de leurs rôles, de leur façon de concevoir leurs personnages et l’univers de la pièce.
De plus, ce laboratoire met de l’avant le travail d’une grande partie de l’équipe qui, habituellement, travaille dans l’ombre, derrière les rideaux. On y rencontre les concepteurs, sonore et lumière, les maquilleurs, dont le charismatique Jacques-Lee Pelletier, qui vole littéralement la vedette!, les concepteurs de costumes, les scénographes, la musicienne et violoncelliste Jorane, qu’on a d’ailleurs eu la chance d’interviewer récemment, et plusieurs autres artistes qui nous dévoilent leur processus créatif.
Cette célébration des corps professionnels au sein de cette discipline qu’est le théâtre est rafraîchissante et donne la chance à celles et ceux qui travaillent en coulisse de s’exprimer et d’avoir la chance de raconter leur travail au public. D’ailleurs, l’exercice s’apparente à notre série théâtrale «Dans l’envers du décor»… mais en version documentaire!
J’ai également été touché par l’enthousiasme avec lequel chacun des artistes a fait preuve afin d’offrir aux mordus de théâtre un spectacle dont ils seront assurément fiers. Fait cocasse: j’ai aussi adoré voir Lorraine Pintal s’exclamer devant un maquillage réussi ou une scène bien jouée, comme si sa passion et son amour pour le théâtre était toujours aussi vivant, aussi contagieux, plus fort que jamais. C’était beau à voir.
Avec ce labo-théâtre, nous comprenons rapidement que la création d’une pièce de théâtre est avant tout un énorme travail d’équipe, ainsi qu’un mélange éclectique d’approches qui, une fois rassemblées, crée un tout vraiment unique et audacieux.
Une cinématographie majestueuse
L’un des points les plus réussis à mon avis est sans aucun doute la cinématographie qui nous est présentée. Les prises de vue sont réussies, avec l’usage de plusieurs gros plans qui suscitent une perspective intéressante sur plusieurs lieux du TNM, qui sont habituellement méconnus du public.
Ainsi, dans le confort de notre salon, nous avons accès aux coulisses, aux loges, à la vue que les acteurs ont, sur scène, de la foule, jusqu’à la quantité impressionnante d’installations, d’éclairages, de cordes et de poulies en arrière-scène, bref, toutes ces composantes habituellement invisibles, mais qui sont absolument nécessaires à la création d’un décor et d’une ambiance.
Que ce soit la prise de vue entre les cordes, alors que l’acteur Jean-François Casabonne livre un monologue dans la peau de Boulgakov, ou lorsque la caméra s’élève dans les airs à la toute fin pour offrir une perspective inhabituelle de la scène, le tandem de réalisateurs Lorraine Pintal et Robin Pineda Gould a su utiliser l’espace théâtral de façon originale et imaginative.
Un décor inachevé mais moderne
La ligne entre la fiction et la réalité semble inexistante ici, la preuve c’est que les acteurs tiennent leur manuscrit lors des répétitions, que les décors sont pour le moment incomplets, et que les costumes en sont à leur première version. Le fil narratif est ainsi constamment chamboulé, notamment en raison de l’alternance entre les interprétations et les entrevues avec les artistes, ce qui peut être déstabilisant au départ, mais au final, on se rend vite compte que cela permet une immersion plus vraie, plus sentie dans le monde du théâtre.
Une scène qui illustre bien ce propos est celle durant laquelle les personnages de Madeleine (Rachel Graton) et Molière (Éric Robidoux) apparaissent pour la première fois ensemble sur scène. On peut les voir répéter, alors que la salle vide du TNM agit comme seul décor, avec ses bancs rouges bien en vue et les installations d’éclairages omniprésentes sur les côtés de la scène, dans le champ de vision de la caméra. Les acteurs vont même jusqu’à courir à l’extérieur de cette dernière pour finalement sortir par les grandes portes métalliques, habituellement réservées aux spectateurs.
Le contraste entre la modernité de la salle du TNM, les costumes et les maquillages encore en cours de développement, et la pièce de théâtre, qui se déroule au XVIIe siècle, crée une dissonance intéressante et innovante. On en vient à repenser la place qu’on accorde à l’espace et à la scène avec ce laboratoire qui utilise la structure du bâtiment comme terrain de jeux pour ses acteurs.
Une pièce pour le moins prometteuse
Le Roman de monsieur de Molière est également un choix plutôt significatif pour la réalisation d’un labo-documentaire qui porte justement sur la création et sur le théâtre, puisqu’elle a à cœur ces mêmes préoccupations.
En effet, à plusieurs reprises, des personnages historiques tels que Molière, Racine, Louis XIV et La Fontaine se posent des questions sur le théâtre, sur l’art en général et sur la place qu’il doit occuper dans une société, avec les enjeux de l’époque, dont la censure et l’influence de la royauté sur la façon de créer, et j’en passe!
Le fait de présenter un documentaire sur la construction d’une pièce de théâtre qui soulève des interrogations sur les rouages et les multiples manifestations de cette forme d’art crée un métarécit qui vient enrichir les questions entourant l’art, mais surtout la création, le moteur de toute expression artistique.
Avec son équipe technique talentueuse et dévouée, sa brochette d’acteurs au sommet de leur art (mention spéciale à Jean-François Casabonne et Rachel Graton, qui livrent des performances puissantes et évocatrices, même en répétition), ainsi que la passion des écrivains et de la metteure en scène Lorraine Pintal, ce laboratoire démontre bien que la création peut atteindre des sommets brillants lorsque le processus est fait collectivement.
Le laboratoire de création Prologue au Roman de monsieur de Molière est disponible sur la plateforme de webdiffusion du TNM, du 19 février au 7 mars 2021. Pour consulter la programmation hivernale complète, rendez-vous ici.
«Prologue au Roman de monsieur de Molière» au TNM en images
Par Yves Renaud