Théâtre
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Maude et Kathleen se sont rencontrées au cégep. Le coup de foudre n’a pas été instantané, mais une relation bien plus riche et profonde n’a pas tardé à prendre forme entre elles. Le désir d’avoir des enfants s’est ensuite présenté à elles comme la suite logique de leur relation, qu’elles définissent comme étant queer-platonique.
«Nous faisions tellement une bonne équipe, et cela a fait germer toutes sortes de questionnements: “pourquoi tient-on pour acquis que le couple est la base la plus solide pour faire famille? Faire famille en couple est, bien sûr, un modèle tout à fait valide, mais je ne me retrouve pas là-dedans. Dans notre entourage, on ne trouvait vraiment aucun modèle qui ressemblait à ce qu’on voulait créer», nous raconte Maude.
«Grâce au balado, nous sommes tombées sur une liste de 200 questions à se poser avant de faire famille avec quelqu’un: maintenant, notre désir de faire famille est tellement réfléchi que nous nous sentons assez fortes pour nous lancer dans cette aventure.» – Maude Boutin St-Pierre
Une étude sociologique
En six épisodes d’environ une demi-heure chacun, Maude Boutin St-Pierre dresse un portrait complet de l’institution familiale au Québec: ses lois, ses failles, ce qui y est valorisé, toléré et rejeté.
Pour la jeune artiste multidisciplinaire, cette forme de diffusion s’est imposée d’elle-même: «Je suis une grande fan de balado comme auditrice. J’aime l’intimité qu’apporte ce médium par rapport au théâtre. Pour moi, c’était tout naturel de raconter Parentèle en audio, parce que j’avais envie de cette intimité-là et aussi que les personnes entendent les vraies voix des gens que j’ai interrogés, contrairement au théâtre, où il s’agit d’acteurs. C’était important que ce soit très réel, car il s’agit un peu d’une enquête», explique-t-elle.
À travers cette étude qui rassemble plusieurs familles ayant choisi de fonder une famille hors du cadre traditionnel attendu par la société, Maude Boutin St-Pierre nous partage également sa propre histoire sous forme d’autofiction: «Il y a une part de mise en scène dans le balado, et une part de réel, car il s’agit aussi d’une autofiction. Il y a des moments personnels de nos vies que nous avons enregistrés, et d’autres que nous avons décidé de réécrire et de rejouer. Certaines scènes se basent sur nos souvenirs, et d’autres sont simplement une version de la réalité où le volume a été augmenté.»
La famille comme réseau d’entraide
Maude et Kathleen ayant chacune un conjoint, ces derniers les épauleraient dans l’éventualité où leur projet de faire famille se concrétiserait. Ainsi, leur idée est que leurs enfants puissent bénéficier d’un réseau parental élargi. Aux yeux de Maude, il s’agit du plus beau cadeau que l’on puisse offrir à un enfant: «La famille, pour moi, c’est un réseau de soin, de soutien et de solidarité. Elle peut prendre une multitude de formes. Le rôle de la famille, c’est simplement de s’entraider à grandir, et d’accompagner les êtres qui la constitue vers la suite», nous dit-elle.
Pour Maude, la nature de la relation entre deux parents ne devrait pas entrer en compte dans ce qui définit une famille. «La distinction entre l’amour et l’amitié est assez floue pour moi. Ma définition est toute personnelle, elle n’a rien d’universel. L’amour comme l’amitié est animé d’un désir de créer quelque chose avec l’autre personne, ce qui demande, pour chacun, de l’écoute et de la collaboration. J’ai tendance à utiliser le moins possible les distinctions entre ces deux termes-là», explique-t-elle.
Un parcours semé d’embûches
Au Québec, il n’est pas impossible pour deux amis de devenir parents dans un modèle de coparentalité. Cependant, dans le cas de Maude et de Kathleen, plusieurs éléments leur compliquent la tâche pour ce qui est d’être toutes deux reconnues comme parents aux yeux de la loi.
Puisqu’elles sont deux femmes, elles auraient besoin d’un donneur de sperme afin de pouvoir donner naissance. Le fait qu’elles soient toutes deux en relation avec une autre personne crée également une certaine confusion, la procréation assistée étant offerte aux personnes seules ou en couple: elles ne pourraient donc pas déclarer former une union, en plus de celles qu’elles constituent déjà avec leurs conjoints.
L’adoption non plus n’est pas à leur portée: «Kathleen a vraiment envie de porter un enfant. Pour ma part, je n’y tiens pas. Si aucune de nous deux n’avait tenu à être enceinte, on aurait pu être ouvertes à l’adoption. Mais pour adopter, il faut correspondre à beaucoup de critères, comme avoir un revenu fixe, ce qui n’est pas notre cas en tant que travailleuses autonomes dans le milieu des arts», nous confie Maude Boutin St-Pierre.
Cette dernière demeure tout de même optimiste: «Heureusement, à notre époque on ne peut plus se faire retirer des gardes d’enfants, du moins, je l’espère. Cela a déjà été le cas pour les unions homosexuelles : c’est encore arrivé en 1998 aux États-Unis, et plus récemment à des unions polyamoureuses. Pour le balado, nous avons rencontré des gens qui ont rencontré ce genre d’obstacles.»
«On a tendance à se croire plus ouvert [au Québec], mais en fait, quand on regarde la loi du droit de la famille en ce qui concerne la pluriparentalité, il y a trois provinces au Canada qui l’ont reconnue, soit la Colombie-Britannique, l’Ontario et la Saskatchewan, et plusieurs états aux États-Unis.» – Maude Boutin St-Pierre
Vers un monde plus ouvert à la différence
Maude Boutin St-Pierre fait sa part pour la cause à travers ce balado qui donne la parole à ceux que la société a tendance à vouloir balayer sous le tapis. Selon elle, le Québec aurait encore pas mal de chemin à faire: «Les familles à plus de deux parents et les autres modèles différents existent déjà. Le problème, c’est qu’elles n’ont aucune protection, ce qui vulnérabilise autant les parents que leurs enfants. Une plus grande reconnaissance légale et une plus grande ouverture sociale sont nécessaires», estime-t-elle.
«Il y a tellement à apprendre des modèles de familles différents. Ce sont des gens qui ont fait face à beaucoup d’adversité et qui ont un bagage de connaissance énorme à partager sur la parentalité et le faire famille. Il faut s’en inspirer, peu importe notre situation, nous avons tous beaucoup à tirer de ces exemples.» – Maude Boutin St-Pierre
«J’ai eu envie de raconter mon histoire et celles des autres à travers un balado de plusieurs heures, car j’avais envie de plonger les gens dans un état d’écoute et de curiosité véritable. J’ai envie que les gens en ressortent soit avec l’impression d’avoir été vus et entendus, s’ils s’identifient avec les histoires racontées, soit avec l’impression d’avoir vu et entendu des histoires qu’ils n’avaient jamais encore côtoyées. J’espère que cela va contribuer à faire en sorte que l’on parle davantage de ces modèles, qu’on les connaisse mieux et, qu’éventuellement, on les respecte vraiment», conclut-elle.
Le balado «Parentèle – en quête d’une famille qui nous ressemble» est disponible gratuitement sur votre plateforme d’écoute préférée. Restez à l’affût des prochains épisodes en vous abonnant dès aujourd’hui:
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