«La traversée du siècle» de Michel Tremblay au Diamant de Québec – Bible urbaine

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«La traversée du siècle» de Michel Tremblay au Diamant de Québec

«La traversée du siècle» de Michel Tremblay au Diamant de Québec

Un marathon théâtral de (accrochez-vous bien) 12 h!

Publié le 11 juin 2024 par Guy-Philippe Côté

Crédit photo : Marlène Gélineau Payette

En septembre 2023, j'amorçais la saison théâtrale d'automne en vous partageant mon appréciation d’«Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres», un hommage «à la québécoise» à l'écrivain Michel Tremblay. C'est à ce moment, d'ailleurs, que «La traversée du siècle», spectacle de 12 h inspiré de l’œuvre romanesque de ce monument de la littérature québécoise, amorçait sa tournée montréalaise. C’est maintenant chose faite: la traversée est passée par Québec le 1er juin dernier au Diamant à l'occasion du Carrefour international de théâtre... et, bien évidemment, je n'aurais pas manqué cet événement pour rien au monde!

Comment essayer de résumer une pièce de 12 h en quelques mots?

À la base, La traversée du siècle raconte le récit de trois générations de femmes, à savoir Victoire, Albertine et Thérèse, et nous plonge au cœur de la vie quotidienne du Montréal ouvrier du début du XXe siècle.

Victoire, amoureuse de son frère Josaphat, est contrainte d’épouser Télesphore et de déménager dans la métropole. Albertine (oui, l’Albertine d’Albertine en cinq temps!), deuxième enfant de Victoire et premier de cette union sans affection avec Télesphore, hérite de la rage de sa mère et mène une existence pour le moins tragique. Cette dernière n’a pas d’autre choix que de se résigner à un mariage qui lui convient bien peu et au cours duquel elle donnera naissance à deux petits, dont Thérèse. Serveuse nocturne souvent renvoyée pour ivresse, celle-ci incarne la troisième génération de femmes qui luttent pour survivre dans un environnement difficile.

 

Ce texte-fleuve de Michel Tremblay regroupe ainsi quatre textes dramatiques, à savoir Le passé antérieur, En pièces détachées, Albertine, en cinq temps, et Sainte-Carmen de la Main. À ces histoires s’ajoutent les neuf tomes de La Diaspora des Desrosiers, les sept volumes de Les chroniques du Plateau Mont-Royal, Victoire! et Peintre d’Aquarelle.

L’univers de Tremblay, vaste et complexe, apparaît dans La traversée du siècle comme un mythe fondateur du Québec contemporain.

Toutefois, son immensité peut rendre l’exploration d’un néophyte comme moi particulièrement difficile. Je vous recommande donc d’assister à la représentation avec un∙e ami∙e familier∙ère de l’œuvre de Tremblay, ou bien de lire la version papier de La traversée du siècle avant de vous embarquer dans cette odyssée théâtrale de longue durée.

Voir des gens dans une misère profonde pendant 12 h, c’est long longtemps!

Maintenant, je me permets une précision: la plume de Michel Tremblay se distingue par son raffinement et son réalisme, par ses personnages plus grands que nature, et par son caractère presque mythique par rapport à la culture québécoise contemporaine. Ce n’est pas pour rien qu’il est (presque) devenu un passage obligé au cégep dans le cadre des cours sur la littérature québécoise!

Cependant, La traversée du siècle reste fondamentalement une épopée déprimante. Certes, les fantaisies de Josaphat, qui sort de son tiroir à idées des histoires où il manipule lui-même le lever de la Lune, ajoutent certainement une dose de merveilleux et d’originalité à cette histoire autrement très réaliste. Ce n’est cependant pas suffisant, à mon humble avis, pour apporter de la lumière à cette histoire sombre.

Car regarder la misère du monde pendant 1 h 30, c’est une chose, mais y assister pendant 12 heures, avec trois pauses de 15 minutes et deux pauses d’une heure pour manger, c’en est une autre! Personnellement, je pouvais sentir, notamment après le dîner, qu’une fatigue s’installait dans la salle. Et il restait encore 10 heures de représentation à venir! Même qu’à la fin, lors du monologue final de Marcel, l’acteur a eu une petite digression pour dire au public à la blague: «J’vous jure que ça finit bientôt!» C’est pour dire.

En toute vérité, j’ai trouvé La traversée du siècle plus accablante que les dix heures de tragédies shakespeariennes du spectacle Rome, mis en scène par Brigitte Haentjens, auquel j’ai assisté l’an passé, notamment à cause de son réalisme cru.

Qu’à cela ne tienne, La traversée du siècle m’a néanmoins touché droit au cœur, puisque je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une vague de tristesse en constatant que certaines des expériences de vie décrites par Tremblay reflètent encore des réalités actuelles à Montréal. Combien de gens en détresse dans les rues de Montréal sont aux prises, même aujourd’hui, avec des psychoses qui rivalisent avec celle de Marcel (deuxième fils d’Albertine atteint de schizophrénie lourde)?

Photo: Marlène Gélineau Payette

Une mise en scène qui se résume à une mise en lecture

La metteuse en scène Alice Ronfard a fait le choix de mettre en scène cette épopée sous la forme d’une mise en lecture.

Ce choix artistique met certes l’accent sur le caractère primordial de la parole et du texte à travers cette œuvre. Mais une interrogation m’est venue en tête: est-ce que je n’aurais pas mieux fait d’écouter le balado La traversée du siècle sur Ohdio, ou encore de lire le livre si le spectacle auquel j’ai assisté s’est résumé à une mise en lecture du texte?

À mon humble avis, une personne qui n’aurait pas la patience de rester assise pendant 12 heures pourrait certainement se rabattre sur ces médias pour avoir accès à cette œuvre.

Mais voilà, c’est une expérience en soi de vivre cette pièce en communauté, et c’est certainement l’une des principales motivations à aller le voir en direct.

Et alors, qui  est le public cible?

En bref, je me confesse: j’aurais aimé apprécier davantage cette odyssée théâtrale. Certes, je comprends que, sur le plan intellectuel, cette œuvre marque l’achèvement de plusieurs décennies de travail d’élaboration d’un monde ficelé par Michel Tremblay.

Et je concède que la plume de ce dernier reste toujours aussi grandiose, et ce, même après tant d’années. Un admirateur inconditionnel de l’écrivain pourrait sincèrement adorer voir cette œuvre marathon, mais je dois me rendre à l’évidence: 12 heures de tragédie, c’est particulièrement éprouvant à faire subir à un corps!

En somme, si vous êtes un∙e fervent∙e admirateur∙trice de Michel Tremblay ou un∙e passionné∙e de théâtre en quête d’un événement mémorable à raconter, cette pièce est un rendez-vous incontournable.

«La traversée du siècle» en images

Par Marlène Gélineau Payette

  • «La traversée du siècle» de Michel Tremblay au Diamant de Québec
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    Photo: Marlène Gélineau Payette
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