ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-Philippe Baril Guérard
Les six personnages de Chatroom sont tous très différents, mais outre le fait qu’ils ont tous le même âge et qu’ils viennent de la même ville, ils ont un point en commun: ils cherchent leur place dans la société et veulent changer le monde sans trop savoir comment. Ils sont à cet âge terrible où ils sont capables d’avoir leurs propres opinions et de les défendre, mais ne sont pas pris au sérieux par le reste du monde, tout en se faisant dire qu’ils passent leur temps derrière leur ordinateur sans s’ouvrir au monde qui les entoure.
Plus des enfants, pas encore des adultes. «I’m not a girl, not yet a woman», chantait Britney Spears, citée par une des adolescentes prenant part à la discussion. Pourtant, en cette époque de réseaux sociaux où tout le monde obtiendra un jour ses quinze minutes de gloire, ils sont à la recherche de la cause qui pourrait leur permettre de laisser leur marque.
Mais cette solitude commune n’est que le point de départ de la conversation, puisque rapidement deux des jeunes, William (Olivier Gervais-Courchesne) et Eva (Catherine Chabot), trouvent leur «cause» en la personne de Jim (Simon Beaulé-Bulman), un adolescent dépressif et possiblement suicidaire. Les deux autres, Emily (Anne-Marie Binette) et Jack (Antoine Rivard-Nolin) sont parfois témoins, parfois eux-mêmes victimes de la cruauté dont peuvent faire preuve William et Eva envers Jim, le poussant à commettre publiquement un geste qui leur semble révolutionnaire, mais dont les conséquences seraient terribles. Seule Laura (Maude Roberge-Dumas), la sixième participante trouvera la bonne façon de se battre contre l’intimidation virtuelle de William et Eva.
Parce que c’est bien ce dont il s’agit. On peut avoir tendance à l’oublier, mais l’intimidation, sujet plus à la mode que jamais, est rendue incontrôlable et quasi invisible, puisqu’elle est également rendue virtuelle. Comment empêcher des adolescents de se torturer entre eux sur les réseaux sociaux, surtout lorsqu’ils sont anonymes? Pourtant, cette forme d’intimidation, sans doute la plus cruelle est certainement également la plus facile, puisque chacun s’exprime derrière son écran, sans voir ceux à qui il s’adresse, comme s’ils n’existaient pas vraiment.
Des choses terribles sont dites dans Chatroom, et pourtant, ce ne sont certainement pas les pires qu’on puisse lire sur les forums. L’intimidation procure un sentiment de pouvoir à ceux qui la font subir, pouvoir dont ils ont besoin, puisqu’ils en sont privés dans «le monde réel». Chatroom, c’est également l’idée qu’on se fait des autres, sans les connaître, parfois en ne se fiant que sur l’interprétation qu’on fait d’une seule phrase écrite par une autre personne.
Sur scène, les six comédiens sont assis sur des chaises placées en ligne droite, placées parfois devant, parfois derrière des grands cadres vides, qui s’illuminent lorsqu’ils prennent part à la conversation. Mise en scène simple mais terriblement efficace, signée Sylvain Bélanger pour cette pièce de l’Irlandais Enda Walsh, traduite par Étienne Lepage.
Les six comédiens, tous diplômés du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2013, livrent des performances sans fausse note, dans cette pièce qu’ils reprennent, l’ayant déjà montée avec Sylvain Bélanger en 2012, lors de leur spectacle de finissants au Conservatoire. Seul peut-être Olivier Gervais-Courchesne se démarque un peu des autres dans le rôle de William, celui qui s’impose rapidement comme le leader de cette petite révolte virtuelle.
Présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 21 mars, Chatroom s’intéresse à des thèmes à la fois intemporels et terriblement d’actualité. Même si le propos questionne l’existence virtuelle des adolescents, celle-ci n’est qu’un prétexte pour aborder leur mal-être qui trop souvent bascule en un jeu de pouvoir duquel tous ne peuvent pas se sortir indemnes.
L'avis
de la rédaction