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«Avec Anne et Steve, on a fait du ligne par ligne: vraiment, ils ont une intelligence du texte remarquable, et c’est ce qu’on recherche chez des comédiens. Ça a été un travail d’orfèvre à leurs côtés.» – Dany Boudreault, dramaturge
La flamme qui a permis au projet d’exister
Sur scène, le tandem de comédiens Steve Gagnon et Anne Dorval se glisse respectivement dans les rôles du poète et de la comédienne qui ont vécu une relation passionnelle au cœur des tumultes politiques de l’après-guerre et de la frénésie intellectuelle de Saint-Germain-des-Prés.
Les échanges épistolaires que les deux artistes ont entretenus étaient (presque) tout ce qu’ils avaient, puisqu’ils vivaient une relation extraconjugale. En effet, Albert Camus était déjà marié à Francine Faure et père de deux jumeaux. «Tout les éloignait, mais il y avait cet espace avec leurs correspondances qui est devenu comme un refuge, un endroit hors du temps et de l’espace où, dans leur quotidien, séparés l’un de l’autre, ils pouvaient se rejoindre», explique Maxime Carbonneau.
Et d’après Dany Boudreault, cette correspondance épistolaire qu’ils ont nourrie résonne bien avec notre époque: «Leurs lettres sont d’une grande modernité, et tout le monde va se reconnaître à un moment ou à un autre, soit dans Maria, soit dans Albert. Je crois que ça va parler à tous les couples confondus, de toute identité et de toute orientation sexuelle, car ce sont des gens qui cherchent à inventer une nouvelle façon d’aimer. Et ça, tous les spectateurs l’ont vécu ou le cherchent.»
«Le but n’était pas de présenter Albert Camus et Maria Casarès, mais bien Albert et Maria, deux humains qui doutent, qui se déchirent, qui rient, qui se désirent et qui se fracassent, car ce n’est pas doux toujours. Mais il y a aussi beaucoup d’humour dans le texte et à travers les lettres.»
Trois temporalités qui fusionnent
Maxime Carbonneau l’admet, «le défi de mettre en scène des correspondances, c’est qu’on est dans trois temps en même temps: celui de l’écriture, celui de la lecture, et puis le temps présent de la représentation.» Et pour lui, «la mise en scène est une danse entre ces trois temporalités-là.»
D’ailleurs, Dany Boudreault a jonglé avec ces trois dimensions temporelles et explique avoir «mis au présent certaines choses et enlevé certaines phrases de recul, parce que, parfois, on écrit sur notre journée, mais on a du recul sur nos émotions.» Il voulait donc «remettre l’émotion au temps présent», ce qui a représenté le gros de son travail d’adaptation des lettres.
De son côté, Maxime Carbonneau s’est appliqué à travailler les qualités de présence avec les comédiens, et ce, même quand la distance sépare les personnages qu’ils incarnent. «Les lettres sont écrites quand ils sont loin l’un de l’autre, mais ils se rejoignent. La mise en scène est cette chambre imaginée, hors du temps et de l’espace, qu’ils ont habitée à travers leurs lettres.»
Riches métaphores et postérité des comédiens
Pour représenter cette chambre imaginaire, Maxime a joué avec une scénographie richement imagée. «La scénographie, c’est un lit qui représente ceux où ils se sont rencontrés un peu partout», indique-t-il. «C’est le lit où ils se sont retrouvés au départ – c’est-à-dire le lit où Albert dormait avec Francine –, mais aussi tous les lits issus des multiples chambres où ils ont été loin l’un de l’autre, mais où ils finissent par se rencontrer de brefs moments à travers leurs échanges. C’est une espèce de labyrinthe temporel et métaphorique, des chambres d’hôtel éclatées.»
D’autre part, le metteur en scène a tenu à évoquer les trois médiums que Maria utilisait pour s’exprimer artistiquement: la radio, le cinéma et le théâtre. «La lumière est mise sur Maria Casarès, car ce sont toujours les auteurs dont on se souvient quand ils meurent…», commence Dany. «… Mais on oublie les metteurs en scène, les acteurs et les actrices de théâtre. Les auteurs accèdent à la postérité et à l’éternité, eux», complète Maxime.
«Donc oui, je trouvais touchant de donner une postérité à cette femme qui a vraiment marqué son époque», termine ainsi Dany.