«Foirée montréalaise» au Théâtre La Licorne dans une mise en scène de Martin Desgagné

Le choix des participants s’est donc opéré en fonction de leur lien avec le quartier, et les multiples préjugés envers Montréal-Nord se sont rapidement retrouvés dans la liste des sujets examinés par la troupe d’artistes, auteurs ou performeurs, qui cumulent souvent les deux rôles. La formule, qui cherche à reproduire un chaleureux rassemblement familial où musiciens et conteurs s’alternent, est propice au temps des fêtes; ceux qui cherchent de la cohésion et un message clair n’y trouveront évidemment pas leur compte, et les spectateurs qui n’ont pas la fibre participative pourraient vivre quelques malaises, car le public est souvent mis à contribution pendant les deux heures que dure la représentation.

Les petites histoires que nous racontent une panoplie très hétéroclite d’artisans sont variées, parfois tendres, souvent amusantes, passent du commentaire social à l’anecdote familiale, et s’aventurent à plusieurs reprises sur le glissant territoire des préjugés raciaux. Michael Richard nous parle à quelques reprises de son attachant grand-père et de son chien Ponpon, jouant aussi de l’accordéon et constituant un point de repère fort sympathique dans le déploiement des numéros.

Émilie Gilbert joue à merveille son rôle d’antagoniste dans la peau d’une Lavalloise expectorant une quantité ahurissante de clichés. Elle est d’ailleurs l’instigatrice des moments où le malaise devient le plus âcre, notamment lorsqu’elle raconte une expédition à Montréal-Nord pour se «pogner un Noir». Inès Talbi et Richardson Zéphir, en plus d’injecter au groupe une forte dose de bonne humeur, nous font aussi profiter de leur vivacité d’esprit.

Le moment le plus touchant est sans doute celui où Ahmad Hamdan nous raconte son premier Noël, alors qu’il était invité dans la famille d’un ami. Le choc des cultures, de la nourriture traditionnelle qui revêt à ses yeux un attrait exotique, et la première fois qu’il buvait un shooter; tout cela avec l’impression de faire partie de la famille. Et c’est un peu cette impression que tente de recréer la Foirée chaque année.

Est-ce qu’on est investis de l’esprit des fêtes un peu en avance en assistant à la soirée? Un peu, mais la recette d’une soirée familiale de Noël n’est pas universelle et c’est un pari quand même risqué. L’intérêt, pour nous, se trouve surtout dans les anecdotes et les observations sur le quartier, qui ratissent large et qui couvrent beaucoup de terrain. De l’aspect communautaire très développé aux multiples groupes culturels qui se mélangent harmonieusement – ou pas –en passant par la pauvreté et l’éloignement géographique, tout y passe.

Nous retiendrons donc davantage ces merveilleux textes, bien servis par les divers interprètes, que les numéros musicaux qui semblent parfois s’éterniser sans réellement ajouter de plus-value à l’ensemble.