ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Claude Gagnon
Dans Filles en liberté, le spectateur est introduit à une bande d’amis assez disparates. Le noyau du groupe est le couple formé par Méli (Catherine St-Laurent), notre héroïne, une fille à l’intelligence scintillante qui rêve pourtant d’être mère au foyer et de vivre en faisant le moins d’efforts possible, et Nick (Étienne Pilon), un professeur de cinéma aux idéaux vacillants qui est constamment sur le party, et qui récite du Miron quand il est saoul. Autour d’eux gravitent Pascal (Christian E. Roy), le meilleur ami de Nick, et lui aussi prof; Cynthia (Laetitia Isambert), une barmaid à la maîtrise obsédée par la performance; Chris (Clara Prévost), une amie qui a tué un homme dans un accident de la route; et Alain (Hugues Frenette), le concierge qui fréquente un groupe de Narcotiques Anonymes au Tim Horton’s du coin.
Lorsque l’on sait que la conception d’une pornographie «du terroir» est l’un des points de départ de l’intrigue, on ne s’attend pas forcément à ce que ce revirement de situation survienne assez tard dans l’heure et demie que dure la pièce. Mais l’auteure prend son temps pour bien établir la psychologie des personnages, et les circonstances qui les conduisent à faire ces choix, que certains pourraient considérer comme douteux.
Après le véritable coup de poing qu’était Baby-sitter en avril dernier, nous attendions de pied ferme la prochaine pièce écrite par Catherine Léger, qui est en voie de devenir l’une des dramaturges féministes les plus corrosives de notre paysage théâtral. Et même si cette nouvelle œuvre n’offre pas le même rythme implacable que sa précédente, la démarche thématique en est une suite logique et cohérente.
Car le personnage de Méli, une femme consciente de sa beauté, et qui l’utilise pour arriver à ses fins, est très éloigné de l’idée que l’on se fait typiquement d’une féministe. Mais le fait qu’elle ne se préoccupe pas du tout de ce que pensent les autres, ou de l’impact que ses idées et ses gestes peuvent avoir sur sa réputation, n’est-ce pas là la plus grande liberté qui soit?
Lorsque son projet de site pornographique écoresponsable et équitable se concrétise, le récit bascule dans une farce politique dont le grotesque contrôlé est particulièrement satisfaisant pour l’audience, qui s’amuse de voir ainsi les codes et symboles indépendantistes, source de fierté patriotique chez les pures laines, être saccagés avec une immense joie de vivre. Sous les rouages humoristiques gros comme le bras se cache pourtant un commentaire social très acéré, qui nous rappelle avec subtilité une règle omniprésente sur internet, la règle 34: «Si ça existe, il y en a inévitablement une version pornographique quelque part».
C’est d’ailleurs le segment de la pièce où l’absurdité atteint un niveau incroyable, ce qui génère chez nous un bon lot de rires francs, mais aussi une certaine incrédulité admirative.
Après la gardienne aux moeurs malléables incarnée par Victoria Diamond dans Baby-sitter, on se rend compte que les personnages féminins de Catherine Léger sont magnifiquement assumés, se distancent de leur intimité, et offrent une vision du monde et des relations qui ne semblent pas influencées par les idées reçues. Ce sont d’ailleurs les personnages féminins qui sont présentés ici comme des modèles à suivre, tandis que tous les hommes sont passifs et, malgré certaines convictions un peu molles, assez prêts à changer leur fusil d’épaule et compromettre leurs valeurs sans trop rechigner.
Est-ce qu’on serait témoins de l’émergence d’une version futuriste du féminisme, qui est pour l’instant diamétralement opposée aux tendances politically correct actuelles? Seul l’avenir nous le dira.
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Par Claude Gagnon
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