ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Patrick Palmer
Présentée ces jours-ci au Théâtre Prospero, Le Désert est un monologue qu’il a écrit il y a six ans, pendant sa dernière année à l’École nationale de théâtre du Canada. Une lecture publique a eu lieu la même année au festival Zone Homa (aujourd’hui appelé ZH Festival). L’auteur a ensuite tenté de trouver un théâtre pour le monter et il est passé à travers trois tentatives qui se sont rendues à différents stades, mais qui ont toutes été avortées. Il a fini par croire qu’une malédiction était rattachée au texte. On peut donc dire que la production actuelle est l’aboutissement d’un long processus.
«Quand j’ai écrit cette pièce, je voulais que le public vive l’intimité de ce personnage sans prénom, qui s’adresse à un «tu» qui n’est jamais identifié. Je voulais que les spectateurs se sentent comme si on s’adressait à eux, que le dialogue crée une proximité avec le performeur.» Le texte, qui peut être interprété par différents metteurs en scène, car il ne comporte aucune indication scénique, est traversé de multiples espaces blancs pour les silences. C’est finalement Frédéric Sasseville-Painchaud qui, en plus de brillamment interpréter la vision de l’auteur, signe la mise en scène.
La pièce, possédant un aspect un peu nordique et éthéré, et une ambiance sombre qui ne dit pas tout, cadre parfaitement avec le reste de la programmation du théâtre de la rue Ontario.
Dévier de trajectoire
Sylvestre a aussi publié, à l’automne 2017, son premier livre chez Hamac. noms fictifs, une collection d’histoires récoltées pendant ses années comme intervenant, s’est hissé jusqu’à la liste préliminaire du Prix des libraires du Québec dans la catégorie roman, malgré qu’il soit présenté comme un recueil de récits. «Ça m’a beaucoup surpris», avoue-t-il, même s’il admet que l’omniprésence du même narrateur en fait un ensemble très cohésif.
«J’étais parti en résidence pour écrire du théâtre, et finalement ça a donné noms fictifs. Ça m’a libéré, car je n’avais pas à respecter les contraintes dramaturgiques, surveiller le niveau de langage, écrire uniquement des répliques. Si j’avais envie d’y aller avec une envolée, j’y allais.»
Chaque histoire nous présente un personnage, client de son centre d’urgences pour toxicomanes, souvent décrit avec une empathie profonde et une réelle affection. Tout au long de notre lecture, une question nous taraudait: «Y a-t-il des gens qui se sont reconnus après la publication?»
«Pas à ce que je sache. La question de l’éthique m’a hanté tout au long de ma rédaction. Jusqu’à la dernière minute, j’utilisais le vrai nom du service où je travaille. Je voulais ajouter encore plus d’opacité au processus, dans lequel je mélangeais déjà plusieurs histoires pour chaque personnage. C’est le travail de l’imaginaire qui fait de la bonne fiction, mais en même temps, dans mon milieu de travail, la fiction est moins intense, et plus crédible, que la réalité.»
On comprend l’auteur de ne pas avoir voulu impliquer son employeur ou ses vrais collègues. Il précise cependant que l’exercice est très éloigné du voyeurisme ou de l’exploitation. «Si jamais un individu dont j’ai utilisé l’existence se reconnaît dans une histoire, j’aimerais qu’il sache que ça a été fait avec beaucoup de bienveillance; c’était pour faire ressortir leur héroïsme. Parce que c’est crissement héroïque de se battre dans la vie, quand tout est contre toi, quand le système capitaliste et la société ne te sont d’aucune aide quand t’es dans la marde.»
Les portraits, comme le titre du livre l’indique, sont fictifs, mais pas très éloignés des individus qui l’ont inspiré. Le seul nom qui n’est pas fictif, c’est le sien. Après une longue discussion avec son éditeur, Éric Simard, les deux hommes en sont venus à la conclusion que, puisqu’il utilise une parcelle de l’existence de ses sujets, il était tout à fait naturel pour lui de se dévoiler en retour. «C’est le tribut à payer», conclut-il.
Éric Simard et lui ne se connaissaient pas, mais Olivier estimait Hamac, et est tout bonnement allé rencontrer l’éditeur à la Librairie du Square dont il est propriétaire. «Je lui ai parlé de mon projet. Comme mon livre est un hybride de plein d’affaires, je n’avais aucune idée de qui pourrait publier ça, mais en dix jours il m’avait répondu. Je n’ai donc pas eu à magasiner un éditeur. Il est vraiment consciencieux, et le processus de réécriture a été très rigoureux. On lisait beaucoup à voix haute, pour travailler le rythme et la musicalité.»
La suite logique
En plus de ces stimulants projets, Sylvestre travaille aussi sur une Trilogie lavalloise, trois pièces de théâtre autobiographiques qui parlent d’un même personnage, Oli, à différents moments de sa vie. Fait fort novateur, la pièce qui parle de son enfance sera destinée à un public d’enfants, et celle qui touche à son adolescence suivra le même principe.
Trouve-t-il important d’écrire des pièces pour adolescents? «La dynamique est différente, c’est sûr; on a une responsabilité supplémentaire. En écrivant du théâtre pour ados, il faut faire spécialement attention, et surtout ne pas leur donner l’impression que le théâtre, c’est des histoires de grandes robes qui durent trois heures, parce qu’ils ne reviendront plus jamais.»
Il travaille aussi déjà sur son prochain roman, qui parle de la quête amoureuse à travers les rencontres décevantes, mais pour lequel il incite ses lecteurs potentiels à ne pas trop retenir leur souffle. «On a le privilège de publier, et il faut bien l’utiliser». Ce qui signifie qu’il y mettra le temps qu’il faudra, afin d’enfanter d’une œuvre dont il pourra être fier, et qui repoussera encore un peu plus loin, comme il l’a fait avec noms fictifs, les limites de la narrativité littéraire.