ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Julie Perreault
«Tu réalises que c’est un gars qui a eu une peine énorme. Il a perdu sa sœur dont il était amoureux, et à partir de ce moment-là, il a viré de bord, il a capoté. Et on en vit des affaires comme ça dans la vie, qui font que tu ne te reconnais plus, que tu es en état de choc! C’est ça qu’il vit, alors que son entourage veut que les choses avancent, ce qui lui fait réaliser que la vie continue, mais ça le fait capoter!» C’est ce travail intense sur le texte qui a complètement fasciné et passionné Benoît McGinnis, qui admire encore et toujours la façon de travailler de son ami metteur en scène.
Si, bien sûr, ce sera McGinnis qui portera le personnage soir après soir sur scène, c’est malgré tout la vision de René Richard Cyr qu’a privilégié le comédien de 38 ans, qui n’aurait sans doute pas eu assez de recul pour tempérer l’empereur et le rendre si intéressant. «C’est le Caligula de Camus qu’on fait, parce qu’évidemment, Caligula existe dans l’histoire, mais ça c’est vraiment la vision de Camus et ses propos, mais après, c’est celui de René Richard Cyr. C’est vraiment le leur, représentatif de ce que René Richard a reçu de cette œuvre-là, et moi je suis comme l’interprète pour faire passer ça. Évidemment, j’amène mes idées; c’est mon énergie, ma drive, mes nuances, mais je pars de ce que René Richard voyait.»
Ce que Benoît McGinnis avoue aimer du spectacle, c’est justement cette vision qui humanise le personnage et qui fait en sorte qu’on ne le traite pas simplement comme un fou qu’on aurait envie d’attacher et d’enfermer dans une chambre. «Ce n’est pas ça. Il est lucide et il a un moment où il se dit ‘’Je suis rendu vraiment loin, je ne peux plus revenir en arrière’’». Évidemment, le spectateur peut se demander si il aurait réagi comme ça, lui, s’il aurait saisi l’opportunité d’enfin ne plus avoir de barrières.
Les rapports de pouvoir, la liberté qu’on se donne, à nous et aux autres, jusqu’où on peut aller avec cette liberté-là, à quel point on fait attention aux autres ou même comment gérer sa peine ou une épreuve qui nous arrive; autant de sujets présents dans cette pièce qui pourrait très certainement faire réfléchir le public. «J’espère juste que ça provoque la discussion et la réflexion; je souhaite qu’ils partent avec quelque chose. Parce que même si le spectacle finit et qu’ils se disent qu’ils ne sont pas d’accord avec Caligula, ça, ça provoque des conversations!»
Et pour faciliter la réception – et aussi les échanges au sujet de la pièce et de ses thématiques –, l’équipe de création, dont Éric Bruneau, Macha Limonchik, Benoît Drouin-Germain et Étienne Pilon à l’interprétation (tous des collègues avec qui Benoît McGinnis a déjà travaillé), s’est assurée de bien décortiquer les propos et de présenter une proposition très cohérente, conséquente et limpide. «La parole est claire, on l’a fait pour toi, le chemin! En le lisant, tu te dirais peut-être juste qu’il est donc bien intense, Caligula, qu’il est fou un peu, qu’il a une soif de pouvoir et de vanité. Mais nous, on l’a décortiqué et on te suggère que là, il doute, là, il a de la peine et là, il n’est pas sûr.»
Une chose, elle, est certaine, c’est que Benoît McGinnis touche ici à un grand rôle de sa carrière de comédien, qui pourrait bien marquer un tournant. «J’ai l’impression qu’Il y a un truc qui se termine avec Caligula. Plutôt le début d’une autre affaire, une boucle qui se boucle. Peut-être que ce sera la fin de ces rôles-là de rois, de fous, de princes, de Hamlet, de Roi se meurt, de Caligula. Je ne le vois pas négatif; pas comme une époque qui se termine. C’est positif, je me dis qu’il va y avoir un changement dans les rôles que je vais jouer, peut-être.»
Celui qui est très conscient de son statut privilégié en tant que comédien qui travaille beaucoup voit tranquillement ses rôles de fils se transformer en rôles de père, et il aimerait probablement, dans un avenir plus ou moins rapproché, diriger des acteurs ou une institution théâtrale, pour pousser plus loin encore son amour du théâtre. Mais pour le moment, il a encore de bien belles années devant lui en tant qu’acteur, dont une présence d’un mois sur les planches du TNM dans ce Caligula d’une grande lucidité.