ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Élisabeth Carecchio
D’emblée, le travail de Guillaume Vincent est particulièrement intéressant, parce qu’il s’est inspiré d’un fait vécu: «Rendez-vous gare de l’Est est issu d’une interview que j’ai menée pendant 6 mois auprès d’une personne maniaco-dépressive. De cette manière, après une dizaine d’interviews, j’ai commencé à construire et à saisir cette personne sous tous les angles, sous tous les aspects de sa vie quotidienne. À partir de tout le matériel que j’ai recueilli, on a commencé à bâtir un témoignage désarmant avec une seule comédienne sur une chaise.» L’amour, le travail, la famille, l’amitié… tous les aspects de la vie de la femme âgée d’une trentaine d’années sont abordés dans une rare relation de proximité.
Lorsqu’on le questionne sur sa mise en scène très épurée, l’auteur explique qu’un tel dépouillement permet «d’aller à la rencontre de quelqu’un qui vit avec une maladie sur laquelle on a plus souvent le point de vue des médecins et d’autres professionnels de la santé que ceux qui la vivent directement.» Bien que ses derniers spectacles aient comporté beaucoup d’acteurs et de décors, Guillaume n’en voyait pas la nécessité cette fois: «L’intérêt de ce monologue réside complètement dans l’interprétation de la comédienne, sa façon de traduire ses mouvements entre l’humour et le désespoir qui s’entremêlent dans la pièce.»
Dès les premières tournées, la prestation de la comédienne Émilie Incertini Formentini a fait l’objet de nombreux éloges, en plus de récolter une nomination digne de mention à la Nuit des Molières au printemps dernier. A priori, Guillaume Vincent n’avait pas Émilie en tête pour le rôle. «J’ai rencontré Émilie à l’école de théâtre à Strasbourg (où Guillaume a fait sa formation en mise en scène) quand j’ai commencé à faire les interviews», raconte-t-il.
«Au moment de monter la pièce, lui donner le rôle m’est ensuite apparue comme une évidence, puisqu’elle avait les épaules pour tenir ce rôle. Il faut le dire, se plonger dans un monologue aussi intense de 55 minutes est un tour de force pour n’importe quelle comédienne. On a fait la lecture de tous les témoignages accumulés, l’équivalent d’au moins 200 pages (!), puis on a mis énormément de temps pour explorer les portes d’entrée possibles». Au final, l’idée principale fut de mettre le personnage au centre de la pièce, à l’avant de l’étiquette de la maladie.
Malgré que la pièce soit inspirée d’une histoire vraie, Guillaume hésite tout de même à qualifier la pièce de documentaire. Il concède que le monologue verse dans le réalisme et qu’il y a un aspect «vertigineux» à la temporalité de la pièce qui se déroule sur plus de 6 mois. Ceci dit, elle fait pourtant bien partie du genre de la fiction: «L’appellation théâtre documentaire, ça peut être rébarbatif pour certains et pourtant, le cinéma documentaire par exemple n’en est pas moins du cinéma. De notre côté, Émilie ne tente pas de mimer l’interviewée. Elle part d’elle et trouve ensuite une manière de devenir littéralement ce personnage.»
La première modeste de «Rendez vous gare de l’Est» à Reims date déjà de trois ans et la production ne cesse d’enchaîner les tournées depuis. Jouée à Avignon l’été dernier, l’équipe repart sur les routes de la France après un passage qui risque d’être très remarqué au Théâtre Denise-Pelletier de Montréal du 8 au 26 septembre 2015.