ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Gracieuseté Espace Libre
Il y a donc beaucoup de cette trame de fond lucide sur les enjeux de cette génération et les angoisses qui tourmentent les jeunes d’aujourd’hui dans la vingtaine, dans le spectacle, mais Catherine Chabot tient à préciser que ce ne sont pas tous les personnages qui sont atteints de la même façon par ces intenses réflexions. «En fait, mon personnage est le plus noir, c’est celui qui le ressent encore plus sensiblement cette affaire-là. Sinon, il y en a une qui veut avoir des enfants, qui veut transmettre la vie et qui veut vivre, parce que pour elle la vie, c’est beau. Chacune a un rapport différent au monde. On n’est pas les six autour de la table à boire et à brailler. On a toutes un niveau différent d’adéquation à ce monde-là.»
Le spectacle Table Rase ne sera donc pas que noirceur, mais la soirée représentée étant ce qu’elle est, avec ses éléments propices aux excès, finira par s’assombrir. «Au début de la pièce, on parle beaucoup de relations, de sexualité, aussi, pour éviter de parler de la mort. On va parler un peu de ça, mais de manière maladroite, parce qu’on évite de tomber là-dedans, mais plus l’alcool embarque, plus toute la merde apparaît, revient à la surface, et là plus on entre dans cette espèce de spirale-là.»
Pourtant, au départ, le projet était animé et vivant, l’objectif étant simplement de créer entre filles, de réunir six amies qui ont étudié au Conservatoire, mais qui n’avaient jamais travaillé ensemble, et de se créer des rôles féminins, parce qu’il y en a peu d’intéressants, même historiquement. Tout ce qu’elles savaient, au début, c’était qu’elles voulaient parler de leur génération et prendre parole. En laboratoire, elles ont écrit des poèmes, fait des dessins, trouvé des images et improvisé, pour tenter de refléter leurs pensées, mais aussi leurs enjeux.
Ayant créé tout ce matériel à six, il fallait maintenant consolider le tout dans un texte homogène, avec une ligne directrice et une histoire claire, afin de présenter le tout à Zone HoMa, en 2014, qui avait accepté leur candidature. C’est Catherine Chabot qui a été désignée pour mettre tout ça ensemble et écrire une première base de ce qu’allait être Table rase, même si «on est peut-être à la 125e version aujourd’hui. Et dans les répétitions, au fil des enchaînements, on se permet des moments improvisés où on essaie de se faire décrocher, on essaie de se surprendre tout le temps. Alors le texte va avoir une version finale papier pour la régie, mais ça va continuer à évoluer pendant les trois prochaines semaines, aussi, au fil des représentations».
C’est là l’héritage de Brigitte Poupart, leur metteur en scène et grande alliée dans ce projet (sa compagnie TransThéâtre produit le spectacle et assume notamment les frais de nourriture; «On ne s’est pas créé de compagnie, parce qu’il y a un milliard de compagnies qui se créé, et ça devient très compliqué d’avoir des sous»), qui a travaillé avec Robert Gravel et qui est une héritière du théâtre expérimental. C’est grâce à Poupart que les six comédiennes œuvrent dans une si grande liberté, et ensemble, elles ont choisi de planter la pièce dans une esthétique hyperréaliste, allant de pair avec le peu de sous, mais aussi avec les choix des créatrices. «Nos costumes, ce sont nos vêtements; la table, c’est la table de répétition des locaux d’Espace Libre. Les chaises, il y en a deux qui viennent de chez nous, il y en a deux que Vicky [Bertrand] a trouvées sur le bord de la rue…».
«Même si on n’a pas connu Gravel, même si on n’a pas connu ces années-là, même si on n’est pas des filles de la LNI, il y a quelque chose dans la façon dont on a travaillé, et dans la façon dont le spectacle est monté, et dans ce qui va avoir lieu sur la scène tous les soirs…il y a quelque chose qui ne pouvait pas se faire à l’extérieur qu’en ces murs-là», explique Catherine Chabot, quand on lui demande si le fait de jouer ce spectacle à Espace Libre est symbolique pour elles.
Mais ce qui est le plus significatif de Table rase pour Catherine est sans doute au niveau personnel, dans le fait d’avoir réussi à bâtir un spectacle à bout de bras, et qui va être présenté trois semaines en salle; une grande fierté. C’est aussi son travail et son implication dans l’écriture qui auront permis à la jeune comédienne de se connaître un peu mieux, sans toutefois avoir besoin de tout abandonner, comme son personnage, pour trouver sa voie. «Je me suis définie en tant qu’auteure, ça m’a permis ça, et de trouver la façon avec laquelle je voulais m’exprimer, soit le dialogue. Ça m’a vraiment fascinée, j’ai pris un immense plaisir à le faire. Il y a cette porte-là qui s’est ouvert en moi et qui m’a donné envie d’écrire encore et encore, jusqu’à tant que je n’aie plus rien à dire».
Pour conclure notre entretien, Catherine Chabot revient à une autre définition de son spectacle, et on en saisit alors l’importance et la portée: «Table rase c’est le réceptacle de plusieurs de mes considérations, de mes questionnements, de mes enjeux. On a mis beaucoup d’affaires, et j’ai l’impression qu’on prend vraiment parole à travers ça. Et j’ai l’impression que tout le monde va pouvoir se reconnaître là-dedans.»
La pièce Table Rase, écrite par le Collectif Chiennes avec la collaboration de Brigitte Poupart, aussi à la mise en scène, sera présentée au théâtre Espace Libre du 18 novembre au 5 décembre 2015.