ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
Car de l’humour, Ennemi public en est truffé, et beaucoup de gags déclenchent des rires généralisés. Les comédiens sont tout à fait brillants et absolument parfaits chacun dans leur casting, et leur sens du rythme fait partie de la réussite de cette pièce. Mais ce qui est le plus brillant dans ce spectacle est sans doute la mise en scène et la scénographie, avec la scène qui pivote sur elle-même pour laisser voir parfois la salle à manger, d’autres fois le salon ou encore le balcon extérieur et la cour. En tournant sur lui-même, parfois même pendant qu’une action continue de se dérouler, le décor ingénieux permet des changements de scènes et de lieux sans interruption et avec une fluidité impressionnante.
La première scène était en soi saisissante, alors que Dutil, Laplante, Lafleur et Blanchette parlent l’un par-dessus l’autre, sans autre interruption que les interventions de Laplante auprès de son fils, dans le salon avec sa cousine, afin de le gronder ou de lui donner des avertissements. Mais lorsque le plateau a pivoté, s’arrêtant sur les enfants dans le salon, et que l’exacte même scène a été reprise sous l’angle de l’action des jeunes, avec la conversation des adultes à l’arrière-plan, mais conservant les mêmes interventions de Laplante (et faisant en sorte qu’on comprenne et qu’on voit enfin de quoi il s’agissait), les spectateurs ont compris que cette pièce allait être particulièrement intéressante.
Cette scène qui pivote n’a rien à envier à Cœur de Robert Lepage; elle est aussi ingénieuse en permettant de voir tous les angles et points de vue, même si elle fragmente notre attention, presque pour plus de plaisir encore, mais surtout pour plus de cohérence avec le propos. D’ailleurs, c’est le personnage d’Amélie Grenier, en fin de parcours, qui viendra rehausser d’un cran encore ce portrait de notre société où tous cherchent à attirer l’attention sans en accorder aux autres.
Dans une scène finale, un an plus tard que le reste, Grenier apparaît autour de la table familiale en tant que conjointe de Daniel, et prend la place qui revenait à celui-ci auparavant: celle qu’on pourrait croire ingrate, dos aux spectateurs. Pourtant, le jeu très théâtral et le dynamisme de Grenier qui, contrairement au premier repas, se trouve soudainement être la seule qui parle et qui n’écoute personne, sont d’une efficacité redoutable et attirent véritablement l’attention malgré tout. Et de voir les réactions de ses interlocuteurs, auparavant plus loquaces, offusqués de se faire couper la parole et qu’on ne réponde pas à leurs questions…
Un juste retour du balancier? C’est tout simplement que le personnage d’Amélie Grenier est le plus fort, en fin de compte. Car comme dans cette très frappante – et très comique – scène où Frédéric Blanchette manie très bien une marionnette d’écureuil dans la cour, faisant une pause dans le récit, dans ces combats de coqs, on réalise que l’animal le plus fort, dans la jungle de la vie, c’est l’homme. On avait peur que l’écureuil soit dangereux…mais l’animal le plus dangereux, le plus cruel et celui qui fait le plus de ravages chez les autres, qui laisse le plus de marques, c’est encore une fois l’homme. Et mis ensemble dans une même pièce, plusieurs humains peuvent effectivement être très durs les uns envers les autres, car chacun cherche à s’élever au détriment des autres, qui deviennent ainsi tous des ennemis. Ainsi est faite la loi de la jungle.
La pièce Ennemi public, écrite et mise en scène par Olivier Choinière, et mettant en scène Muriel Dutil, Steve Laplante, Brigitte Lafleur, Frédéric Blanchette, Amélie Grenier, Alexis Plante et Alexane Jamieson, est une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de l’ACTIVITÉ. Elle est présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 21 mars 2015.
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de la rédaction