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Crédit photo : Cath Langlois Photographe
Tandis que le gars (Nicolas Dionne-Simard) l’implore de raviver les braises de leur couple, elle entend plutôt tirer un trait définitif sur celui-ci. Le verdict de la fille (Lauren Hartley) est sans appel.
Les deux jeunes adultes avaient convenu de marquer une «pause» dans leur relation. Or la pause en question était peu balisée, semble-t-il, et le gars aurait enfreint les limites de ce qu’elle pouvait accepter.
«Je ne peux vivre ni avec, ni sans toi»
L’autrice Lauren Hartley a omis de doter les deux personnages de prénoms. Leur anonymat, en quelque sorte, facilite l’identification des spectateurs-rices à leurs atermoiements, à leur ambivalence, élevant le gars et la fille au rang d’archétypes de la génération pré-trentenaire. Leur réalité funeste se transpose à celle de bien d’autres jeunes couples mesurant leur impuissance à s’aimer simplement.
Embargo révèle surtout cette part d’ego, cet amour-propre dévorant menant les membres du couple à user de manœuvres manipulatrices pour garder l’autre auprès de soi, nommément à le leurrer ou encore à lui dissimuler certains pans de la vérité au sujet d’événements ayant trait à leur relation.
Quant au public, disposé sur un auditoire bifrontal, il campe une position de voyeur, accédant à l’intimité du gars et de la fille. Le huis clos agit à la manière d’un collimateur, faisant monter la tension et attirant irrésistiblement vers la révélation de certaines vérités troublantes. Au-delà de la sensualité de certains moments, la divulgation successive des aveux en soi crée l’effet d’un effeuillage, lent et progressif, jusqu’au point où les protagonistes exposent la véritable nature des sentiments qu’ils éprouvent l’un envers l’autre.
Une pièce au rythme haletant
L’écriture de Hartley est versatile. Tantôt elle déclenche les rires chez les spectateurs-rices, glanant certaines anecdotes dans la culture populaire et assumant l’usage de «métaphores cheap», tantôt elle saisit d’effroi. Les dialogues que le gars et la fille débitent à folle allure tiennent l’auditoire en haleine du début jusqu’à la chute (qui jaillit à la manière d’une explosion, rasant tout ce qui subsistait jusque-là sur le champ du sentiment). Hartley maîtrise la structure dramatique au point de s’amuser avec celle-ci, créant chez l’auditoire l’illusion de boucles ou encore une sensation de «déjà-vu» au fil de la pièce, faisant germer, puis enfler certains doutes au sujet des personnages.
Le décor est dépouillé, ne consistant qu’en une sorte de cage de bois érigée autour d’un salon. L’enceinte fragile résistera-t-elle au cataclysme que traverse le couple? Rien n’est moins sûr. Une telle sobriété, au niveau des décors, mais aussi de la mise en scène, est avisée compte tenu de la charge et de la densité du texte. Bien qu’efficace, la mise en scène d’Olivier Lépine ne prêche toutefois pas par originalité, s’inscrivant dans la continuité de propositions précédentes, et notamment de Blackbird ou encore de la Saga des Lehman Brothers et de son aspect très sobre.
Il y a lieu de se questionner au sujet du propos en filigrane de la pièce. Quel champ de réflexion le texte ouvre-t-il au juste? Celui d’une société composée d’individualistes, pansant leurs blessures narcissiques, et méprisant le vécu d’autrui? Enserrant l’autre comme s’il s’agissait de la proie de son amour?
Hartley et Dionne-Simard offrent une prestation remarquable: ils sont désarmants, énergiques. On adhère sans peine à leurs personnages. Les aveux qu’ils s’arrachent exhalent des parfums fétides, délétères, accélérant le pourrissement, la décomposition inéluctable de leur relation, conférant à l’espèce de cage de bois qui tient lieu de décor l’aspect d’une chambre à gaz. Celle-ci confine hermétiquement les jeunes adultes à la toxicité de leur relation, et asphyxie toute velléité amoureuse.
Il est bouleversant d’observer ainsi les mécanismes de manipulation à l’œuvre au sein du couple, et l’issue inéluctable de leur relation, leur incapacité à s’aimer sur des bases équitables et authentiques. Et malgré les reproches qu’ils s’adressent, la dureté de leurs propos, on croit entendre en sourdine un attachement inaltérable, de même que cette crainte légitime d’être seul-e.
Embargo est à voir, et Lauren Hartley est décidément à suivre.
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Par Cath Langlois Photographe
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