ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Pierre-Étienne Locas
Pierre-Étienne, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel de la scénographie; comment est-elle arrivée dans ta vie?
«Le hasard, ou un destin. Jeune adulte, étudiant en Arts et lettres, je cherchais, comme plusieurs à cet âge!»
«J’étais attiré par la création et les arts plastiques, mais ne savais pas concrètement vers où aller. Une bonne amie et mentore de l’époque m’a parlé de ce métier, l’orienteur du cégep a fait des recherches pour moi et a trouvé l’École nationale de théâtre (on ne googlait pas à l’époque).»
«Je n’étais à peu près jamais allé au théâtre, mais le corpus de cours me stimulait et répondait aux intérêts que je me découvrais. J’ai appliqué, mais je n’ai pas été accepté. J’ai réessayé l’année suivante, ainsi qu’en lutherie: les deux réponses ont été positives; j’ai choisi la scéno.»
En tant que scénographe, est-ce que tu façonnes une proposition seulement à partir du texte ou il s’agit toujours d’un travail d’équipe avec les autres créateurs et le metteur en scène?
«Toujours en équipe! La création qu’on fait est celle des gens qui se retrouvent autour d’une matière première – souvent un texte, mais parfois une thématique, une musique, de la danse ou autre –, et ce qui en sortira sera la somme des intervenants, de nos bagages et de nos sensibilités.»
Comment conçois-tu tes scénographies et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«Ce qui m’intéresse en théâtre et en art, toutes formes confondues, c’est le geste créateur, le vide du départ. La scène, tout comme le canevas ou le document Word, est vierge, néant.»
«Un thème, une idée à fouiller, un désir de prendre parole, des réflexions et de l’instinct. La matière première du projet donne l’élan, puis une ligne se trace, une phrase se rédige, elle sera effacée ou conservée, multipliée ou fragmentée, c’est l’exploration formelle qui s’entame.»
«Deux règles sont fondamentales pour moi dans une démarche artistique:
1. Posséder ce que l’on cherche; parfois le nommer, parfois le sentir, au départ ou en cours de route.
2. Y mettre de soi-même.»
À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que scénographe? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Il n’y a vraiment pas de journée type; il y a plusieurs modèles. C’est l’un des beaux aspects du métier.»
«Il y a des discussions, des rencontres avec le metteur en scène et l’équipe; de la recherche et de l’inspiration des livres, le web, une marche dans le petit bois ou jusqu’à la rivière en bas de la rue.»
«Des esquisses, des croquis, puis des rendus atmosphériques soignés, Photoshop, Autocad.»
«Plusieurs jours sont consacrés à l’exploration architecturale et poétique, et la recherche de signifiant. C’est là le plus important: arriver à nommer ce que l’on cherche, puis à l’incarner en objet scénique; parfois ça vient vite, parfois il faut plusieurs essais, c’est pourquoi beaucoup de temps est alloué à cette étape.»
«Puis il y a les plans techniques, la recherche de matières, de matériaux, des rencontres avec les ateliers et les artisans, et le suivi de fabrication; et ce, jusqu’à l’entrée en salle, avec le travail sur scène puis la première.»
On sait que tu t’es tout récemment occupé de la scénographie du spectacle Becoming Chelsea, qui sera présenté du 25 février au 14 mars au Théâtre Prospéro. Peux-tu nous parler des défis que tu as eu à relever dans le cadre de cette production?
«Les rôles de la scénographie sont multiples et varient d’une production à l’autre.»
«À un premier niveau, elle a parfois la fonction de camper les évènements du récit; dans le cas de Becoming Chelsea, elle en est exemptée vu le procédé narratif de la pièce. À un deuxième niveau, que le décor doive incarner du reconnaissable ou pas, qu’il l’évoque ou qu’il soit abstrait, ce qui importe, comme mentionné plus haut, c’est la transposition du propos.»
«Pour ce projet, nous avons imaginé un dispositif malléable, transformable, qui traite des thèmes que suggère le regard posé sur Chelsea Manning; soit l’image et la perception, l’enfermement/l’état claustrophobique, le cadre et l’envers. Nous avons eu la chance de créer le spectacle en salle de répétitions, dans le décor avec l’ensemble des concepteurs, ce qui est rarement possible.»
«Malgré l’épuration visuelle scénographique, il y a eu de nombreux défis techniques et budgétaires, ça fait partie du boulot. À chaque production, on invente, ça vient avec son lot d’imprévus à solutionner.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fier ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Plusieurs! Parfois, c’est pour le résultat, d’autres, pour le parcours ou les rencontres.»
«Mais dans mon best of, il y aurait sûrement Chambre(s) (Quat’sous), Caligula (TNM), Cuerpos extranos (Cuatro milpas), La délivrance (Centre du Théâtre d’Aujourd’hui), The Madonna Painter (Centaur), Chapitres de la chute (Quat’Sous), Ceux qui n’existent pas (Dynamo), Le Joker (Quat’Sous), Le déclin de l’empire américain (Théâtre Petit à Petit) et Dance Me (Ballets Jazz de Montréal).»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme scénographe, selon toi, et qui fait que ta signature visuelle est reconnaissable?
«Sûrement qu’une signature existe, une parenté esthétique d’un espace à l’autre, mais j’espère que ce qui ressort est l’à-propos scénographique en lien avec la proposition théâtrale. C’est mon but chaque fois: trouver la bonne affaire pour le spectacle. Parfois, il faut prendre de la place, ou au contraire s’effacer, mais toujours essayer d’être pertinent et juste.»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Prochainement, vous pourrez voir mon travail de scénographie dans Courir l’Amérique (Quat’Sous), ainsi que dans Vania et Sonia et Macha et Spike (Théâtre du Rideau Vert).»