ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Éva-Maude TC
Olivia, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel de conception d’accessoires, de costumes et de décors?
«Je crois que j’ai toujours voulu quelque part faire le métier que je fais aujourd’hui, sans nécessairement le savoir. Ma grand-mère adore raconter aux gens l’histoire de ma première mise en scène où j’avais confectionné moi-même costumes, décors et accessoires à l’âge de huit ans!»
«En étudiant le cinéma, la dramaturgie et l’histoire de l’art, j’ai réalisé que j’avais besoin, pour arriver à un épanouissement personnel, d’intégrer à ce côté académique et intellectuel quelque chose de plus tangible, moi qui ai toujours aimé les arts et travailler de mes mains. Ayant toujours particulièrement aimé le théâtre, j’ai décidé de terminer mon long cheminement scolaire par la scénographie. Ce métier est l’amalgame parfait pour moi, puisqu’il me permet d’exercer tous les jours ma curiosité intellectuelle sur quelque chose de nouveau, tout en concrétisant physiquement une expérience pour le spectateur.»
«Quand j’ai fait ma dernière année d’études en scénographie, on m’a conseillé de choisir rapidement entre le monde du décor ou celui du costume, puisqu’il deviendrait inévitable que les gens allaient m’associer à l’une ou l’autre de ces expertises. Ça m’a marquée, puisque, encore aujourd’hui, je n’arrive toujours pas à faire ce choix. À mon avis, la conception de décor, de costumes et d’accessoires apportent chacun leurs lots de défis et d’intérêts qui me stimulent à des niveaux différents. J’essaie toujours d’analyser chaque opportunité individuellement, en me concentrant sur le défi créatif qu’elle présente, et surtout par les professionnels avec qui j’ai la possibilité de travailler sur chaque projet.»
En tant que conceptrice d’accessoires, est-ce que tu façonnes tes idées dès la lecture du texte ou plutôt en discutant conjointement avec le concepteur de décors et le metteur en scène?
«Évidemment, je commence toujours par lire le texte et sortir quelques idées, et parfois même des images d’inspirations avant nos premières rencontres, mais la demande au niveau des accessoires varie tellement d’un projet à l’autre qu’on ne s’y prend jamais de la même manière. Que ce soit en costumes, en décor ou en accessoires, je propose une lecture de la pièce en sachant très bien que chaque intervenant viendra ensuite influencer la conception par sa propre vision.»
«Après les premières rencontres de création avec le metteur en scène, les différents intervenants et concepteurs, les grandes lignes du projet sont esquissées et un premier souffle est donné à notre travail. C’est donc aussi un travail d’équipe: quand on décide de prendre une voie, c’est le résultat de discussions et d’interrogations qui risquent d’évoluer, de se transformer. Pendant que les répétitions commencent, les concepteurs travaillent en parallèle et évoluent en même temps que la mise en scène, afin de «soutenir» le spectacle sur tous les niveaux possibles.»
«Au niveau des accessoires, je propose des idées, on les essaie en répétition, si nécessaire, et j’ajuste jusqu’au soir de la première. Pour ce qui est de Cr#%# d’oiseau cave, c’est d’autant plus vrai, puisqu’il n’y avait pas beaucoup d’accessoires sur scène. On voulait trouver le juste milieu entre leur donner de l’importance sur une scène dénudée et les oublier, puisqu’ils ne font qu’appuyer l’émotion de la scène. Il faut donc savoir être à l’écoute, s’adapter et demeurer flexible pour arriver à la meilleure version, selon nous, de ce que la pièce et le metteur en scène demandent.»
Comment conçois-tu ou où trouves-tu généralement tes accessoires? Par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«J’ai toujours beaucoup aimé l’aspect recherche de notre travail, que ce soit pour la conception de costumes, de décors ou d’accessoires. J’essaie toujours d’avoir une base d’information sur l’auteur, l’époque et tout élément qui aurait le potentiel d’être approfondi dans la pièce.»
«Pour vous donner une idée à quel point l’inspiration vient de partout, il m’est arrivé de rechercher sur les méthodes de construction des maisons québécoises des années 1920, puis pour un autre spectacle, sur l’évolution du slang gatinois… Mais ça, c’est mon côté geek! Ce n’est pas toujours aussi pertinent pour le spectacle, mais ça pousse ma curiosité et vient alimenter ma création d’une manière ou d’une autre.»
«Après une recherche documentaire, j’aime bien aller à l’opposé et écouter le côté intuitif de la création, et surtout me laisser guider par des visuels qui m’allument. Parfois, c’est une image, un artiste visuel ou une installation.»
«Après le dessin, une étude d’espace dans la maquette, une recherche de tissus ou de textures et de multiples essais…et erreurs, il m’arrive d’avoir besoin d’énoncer mes idées à voix haute à un œil extérieur. Sortir de ma caverne créative permet de constater que certaines pistes de réflexion refusent de se clarifier, s’écartent du propos initial que j’avais envie de poursuivre et deviennent des poids à l’essence de la création plutôt que des piliers. Ça me permet de revenir à l’essentiel!»
À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant qu’accessoiriste et/ou conceptrice de costumes? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Ce travail n’a absolument rien de routinier. D’une journée à l’autre, d’un spectacle à l’autre, les demandes varient. Malgré mon quotidien imprévisible, je commence toujours ma journée avec un latte. Qu’il soit bu alors que je suis assise devant mon ordinateur ou sur la route, je ne peux pas faire une bonne journée sans café!»
«Ensuite, je peux commencer ma journée par une réunion de production ou de création, puis je poursuis par quelques arrêts à mes adresses chouchous pour ramasser du matériel, déposer des spécificités chez des artisans ou simplement ramasser des accessoires, puis j’assiste à une répétition l’après-midi ou à une réunion pour un autre projet, sinon je reviens à la maison où j’ai mon petit atelier pour dessiner.»
«L’avantage ou le désavantage de travailler de la maison, c’est qu’il n’arrête jamais vraiment. En plus, j’adore travailler le soir. C’est le moment où je suis le plus efficace et où tout le monde est couché, donc je peux créer sans recevoir dix millions de courriel ou d’appels.»
Quels ont été, à ce jour, tes plus grands défis à relever en carrière?
«Il arrive souvent qu’on s’engage sur plusieurs projets à la fois dans ce métier. La gestion des priorités et des différentes demandes devient essentielle pour trouver son équilibre, et pour mener les projets à terme. Il peut m’arriver de me sentir un peu dépassée.»
«Les échéanciers serrés, les budgets restreints, les fins de semaine inexistantes, les journées de seize heures; tout ça ce sont des choses dont j’avais conscience avant de me lancer dans ce métier… Certains le voient comme des contraintes, moi je les vois comme des opportunités. Mais comme je le mentionnais précédemment, il faut essayer d’y trouver son compte, de ne pas oublier l’équilibre. C’est le danger quand on aime tant ce qu’on fait.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fière ou qui t’ont particulièrement marquée?
«J’essaie de trouver une fierté dans chaque projet que j’entreprends. Ça fait très cliché, mais c’est vrai! On fait un métier de passion qui n’est pas toujours facile; si on peut garder, à la fin de chaque journée, quelque chose de positif, ça permet de continuer et de parfaire ce dont on est moins fier.»
«C’est toujours impressionnant de dessiner quelque chose qu’on imaginait dans notre tête et de le voir se monter de toutes pièces devant soi. Que ce soit un décor ou un costume qui vit pour la première fois sur un acteur, je crois que c’est vraiment dans ces moments que notre métier prend tout son sens. C’est un bonus quand un éclairagiste sourit devant les possibilités que lui offre ton décor ou quand un comédien trouve des complexités de plus à son personnage lorsqu’il enfile le costume que tu as dessiné. Si l’amalgame de tous ces petits détails peut aller chercher l’émotion brute du spectateur, c’est là que notre travail devient si gratifiant.»
«Nous irons cirer nos canons numériques dans un sweatshop portugais, présenté en mars dernier au Théâtre aux Écuries, a été une aventure particulière cependant. Je conserve un souvenir extraordinaire de l’équipe et de leur confiance en la création.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme accessoiriste ou conceptrice de costumes, selon toi, et qui fait que ta signature est reconnaissable?
«Je n’en sais absolument rien! J’ai l’impression que la signature, ce n’est pas quelque chose qu’on cherche nécessairement en tant que créateur, puisqu’on essaie toujours de servir le texte, puis le spectacle lui-même. On veut toujours se renouveler et penser qu’on apporte quelque chose de plus au projet.»
«Je suis toujours touchée quand les gens m’appellent pour travailler sur un nouveau projet. Je ne suis pas plus talentueuse qu’un autre, mais je crois que le simple fait d’avoir envie de travailler, de mettre les efforts et d’être passionnée, jumelée avec une attitude positive et, je l’admets, parfois une tête de cochon, me donne des opportunités en or. Je mets de l’avant les idées qui me stimulent en gardant une ouverture et une écoute face aux différentes demandes d’un projet et je m’amuse le plus possible tout au long du projet.»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Dans Cr#%# d’oiseau cave au Théâtre La Licorne jusqu’au 25 mai, et en ce moment, je travaille aussi pour une deuxième année consécutive sur le décor du Petit Théâtre du Nord. Le spectacle s’appelle La Maison, c’est une création de quatre magnifiques autrices (Mélanie Maynard, Gabrielle Chapdelaine, Maryse Warda et Rébecca Déraspe) le tout mis en scène par Sébastien Gaulthier, et ça promet! Le spectacle sera présenté tout l’été à Blainville à partir du 20 juin.»