ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Martin Lachbab
1. Navet Confit, on aimerait que tu nous racontes comment tu en es venu à faire de la conception sonore pour le théâtre, toi qui as une carrière solo, comme multi-instrumentiste, mais aussi comme réalisateur de disques?
«J’ai fait du théâtre amateur lorsque j’étais à l’école secondaire, comme plusieurs, mais je n’avais pas pensé en faire une carrière un jour. Si je fais de la musique pour le théâtre maintenant, c’est grâce à deux auteur(e)s comédien(ne)s pour qui j’ai beaucoup d’admiration et avec qui je travaille encore aujourd’hui: Guillaume Tremblay et Sarah Berthiaume. Par hasard, leurs demandes de collaborations sont arrivées presque en même temps, fin 2010.»
«J’ai étudié au cégep avec Guillaume en radio à Jonquière. Des années plus tard, il m’a recontacté parce qu’il cherchait des arrangeurs pour son projet Les Gerry’s (un groupe barbershop hommage à Gerry Boulet). Il m’a ensuite longuement parlé de son idée d’opéra rock autour de Clotaire Rapaille, que nous avons finalement présenté au Festival Jamais Lu en 2011. Olivier Morin s’est joint à nous pour la création de ce premier spectacle qui a fait de nous le Théâtre du Futur, compagnie dont nous sommes les co-fondateurs, et qui en est à sa septième production cette année avec Le Clone est triste. La compagnie est en résidence au Théâtre Aux Écuries pour sept ans, et nous faisons partie du comité de direction artistique du théâtre.»
«Sarah Berthiaume, de son côté, montait Villes Mortes au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et avait demandé à Géraldine d’en assurer la portion musicale. Géraldine et moi faisions à ce moment une version duo de son spectacle, des versions minimales des chansons de son album Sold-Out Capitalisme. J’ai re-collaboré dernièrement avec Sarah sur Nyotaimori (2018), aussi présenté au CTDA.»
«Pour moi, le travail de compositeur concepteur sonore pour le théâtre est une extension des métiers de réalisateur, de mixeur, d’arrangeur et de musicien de scène. Il s’agit de planter le décor discrètement et de se mettre au service du texte et de l’interprétation.»
2. En tant que concepteur sonore, est-ce que tu travailles seul avec un texte et des idées dans ta tête, ou plutôt conjointement avec l’équipe de créateurs et le metteur en scène, avec qui tu façonnes les lignes directrices de l’univers sonore?
«Je travaille rarement seul dans ce genre de projet. Tous les metteurs en scène sont différents; certains ont plus d’input musical, d’autres moins. Dans certains cas, par exemple avec le Théâtre du Futur, nous co-écrivons carrément la musique des spectacles ensemble et je joue sur scène avec la troupe, alors que d’autres metteurs en scène me laissent composer et enregistrer seul en studio, pour ensuite que je leur expose les trames que j’ai créées. Nous choisissons ensemble ce qui va le mieux pour le show (souvent des shows où je ne suis pas sur scène). Il m’est arrivé de repartir à zéro trois fois avant de trouver le bon filon pour un spectacle.»
«Le travail avec les autres concepteurs (éclairages, scénographie, vidéo, etc.) est très important aussi. Je dois m’assurer que les timings de mes cues de son vont de pair avec ceux des cues de lumières, je dois discuter avec la scénographie pour savoir où je pourrai cacher mes caisses de son dans le décor pour faire la spatialisation, synchroniser mes cues avec ceux de la vidéo…»
3. Comment conçois-tu tes univers sonores et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«Selon moi, le texte de l’auteur et l’intention des comédiens sont la base du son en théâtre. Avant de commencer à enregistrer ou composer, je vais assister à plusieurs lectures et répétitions pour comprendre le rythme d’un spectacle, pour m’inspirer et pour «écouter» la place qu’il me reste. Il y a une musicalité dans le texte, lorsqu’il est dit par les comédiens, avec laquelle il faut s’accorder. Il y a aussi des bouts de textes qui appellent naturellement la musique ou l’ambiance sonore.»
«Parfois, je m’impose des contraintes. Par exemple, pour Nyotaimori, j’ai principalement créé les trames avec un ARP Odyssey et un KORG Delta pour conserver une certaine homogénéité dans le son. Dans Épopée Nord, tout devait rester acoustique (piano, violon, guitares et percussions). Pour Le Clone est triste, je travaille avec le pianiste classique Philippe Prud’homme; presque tout est joué live et je m’occupe principalement des percussions et guitares.»
«En théâtre comme en réalisation d’albums, je demande aux artistes quelles sont leurs influences, des références en termes de mix, d’arrangements et autres. Ça m’aide à comprendre le son qui est recherché, tout en me faisant découvrir des artistes dont je n’aurais jamais entendu parler autrement.»
4. À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que concepteur sonore? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour qu’on comprenne bien ton quotidien!
«Il n’y a pas vraiment de journée typique quand on est concepteur sonore pour le théâtre. Je peux passer plusieurs jours à travailler en studio tout seul, me promener d’une répétition à une réunion de production, etc. La semaine avant une première, nous sommes la plupart du temps en salle et-ou en studio tous les jours à faire des raccords sur tous les petits détails qui ne font pas notre affaire, jusqu’à la dernière minute.»
5. Quel a été ton plus grand défi à relever en carrière?
«J’hésite entre 100% Montréal de la compagnie allemande Rimini Protokol au FTA lors du 375e de Montréal (où mon band accompagnait 100 non-acteurs sur scène), ou réussir à comprendre une demande sibylline du metteur en scène Martin Faucher, que j’adore (ex: «pour la prochaine scène j’aimerais ça que ça sonne comme une superposition surréelle surtout féminine»). En répétition, il m’a déjà fait reprendre un coup de cymbale parce qu’il ne le trouvait pas assez sensible.»
6. Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fier ou qui t’ont particulièrement marqué?
«La poésie de Josée Yvon m’a particulièrement marqué quand j’ai travaillé sur La femme la plus dangereuse du Québec (2017, Fred-Barry). La Vague Parfaite (2016, Espace Libre) m’a aussi marqué par son côté wtf!?! et complètement iconoclaste. (C’était la première fois que je travaillais avec des chanteurs d’opéra en wetsuit).»
«Mais c’est injuste d’avoir à n’en nommer que quelques-uns… chaque show est marquant à sa façon et déteint sur le prochain, tout comme les albums que je réalise. Je suis toujours happé par la force des textes et les idées de mise en scène des shows sur lesquels je travaille.»
7. Admettons que tu as le choix entre nous partager une anecdote cocasse qui s’est produite dans le cadre de ton travail OU entre nous dire ce qui fait ta particularité comme concepteur sonore et qui fait que ta signature sonore est reconnaissable… Que choisis-tu? (50 points pour Gryffondor si tu arrives à mixer l’anecdote ET la particularité!)
«Je suis trop vieux pour triper sur les points Harry Potter, alors je vais y aller avec de quoi de ben simple: le reversed reverb, c’est le best. J’en mets partout. Dans mes mix et dans mes conceptions. Tout le temps.»
8. Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous entendre ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Tout d’abord, il y aura Le Clone est triste du Théâtre du Futur, qui prend l’affiche du 29 janvier au 16 février au Théâtre Aux Écuries. Ensuite, je lancerai un huitième album (Engagement, lutte, clan et respect), un livre (chez Les éditions Somme toute) et un nouveau spectacle pluridiscipinaire de Navet Confit en avril.»
«En mai, je serai musicien pour Néon Boréal à Ottawa et Montréal.»
«J’ai aussi le matériel pour lancer une compilation de maquettes, une compilation de musique de théâtre et quelques EPs durant l’année.»
«Parallèlement à tout ça je réalise ou co-réalise aussi les nouveaux albums-EPs de Sheena Ko, Mat Vézio, Larche et Ludo Pin.»