ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Samuel Cogrenne
Claire, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel pour le monde du théâtre; comment est-il arrivé dans ta vie?
«C’est arrivé un peu par hasard en fait! J’étudiais en arts appliqués depuis quelques années et je suis venue passer un été à Montréal pour faire un stage en graphisme. J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de personnes issues du monde des arts, du théâtre, du cinéma… Notamment des étudiants de l’UQAM et de l’École nationale de théâtre du Canada.»
«Je commençais à trouver que la job de graphiste était très solitaire et je m’ennuyais de dessiner, de peindre, de travailler en trois dimensions. J’avais eu des cours de design d’espace pendant ma formation, mais c’était surtout pour de l’évènementiel. Quand j’ai réalisé que le métier de scénographe existait en théâtre, j’ai eu un genre d’épiphanie.»
«Je suis rentrée en France et j’ai commencé à aller au théâtre toutes les semaines. Je suis revenue à Montréal un an plus tard pour commencer le bac en scénographie, et ma passion pour le théâtre ne fait que grandir depuis. Quand j’y pense, c’était vraiment une histoire de convergences et de rencontres un peu hasardeuses. C’est quasiment un coup de tête qui m’a fait changer de domaine et traverser l’Atlantique, même si aujourd’hui je ne me verrai pas faire autre chose que des arts vivants.»
En tant que scénographe et accessoiriste, est-ce que tu façonnes une proposition seulement à partir du texte, ou il s’agit toujours d’un travail d’équipe avec les autres créateurs et le metteur en scène?
«Il s’agit toujours d’un travail d’équipe avec le metteur en scène et les autres concepteur·trices. Chaque texte peut être interprété de plusieurs façons différentes, et il y a beaucoup de créations où on va chercher à transposer un texte dans une autre convention, pour le recontextualiser, et cela crée un dialogue très riche entre les créateur·trices.»
«En décor, j’essaie de trouver des concepts où tous les éléments de la scénographie apportent une lecture visuelle, des symboles et des images complémentaires à l’action et aux dialogues. On peut travailler sur de nombreuses couches de compréhension d’un texte grâce aux conceptions décor, costumes, lumières, sonores, etc.»
«En accessoires, il y a des objets qui servent l’action et qui sont incontournables, bien sûr, mais je me considère comme une conceptrice d’accessoires, dans le sens où je vais vraiment tenter de créer une dramaturgie avec les objets, comme je le ferais en décor ou en costumes.»
«Dans des créations collectives ou du travail d’écriture de plateau, les accessoires ont une forte portée symbolique et viennent nourrir la mise en scène. Ils arrivent souvent avant le texte d’ailleurs.»
«Mais le rapport au texte est très précieux quand même! C’est là qu’on trouve toutes les pistes. Quand on lit un texte pour la première fois, c’est comme une énigme à résoudre. J’adore ce moment-là où tout est possible.»
Comment conçois-tu les décors et les accessoires des projets auxquels tu participes, et par quoi te laisses-tu inspirer dans le cadre de ton travail?
«Je travaille différemment selon le type de création. J’ai un parcours assez varié, c’est-à-dire que je peux travailler dans une institution un jour et en recherche-exploration dans un sous-sol d’église le lendemain. Chaque processus, chaque dialogue artistique demande une méthode différente.»
«Dans des pièces avec un texte, je vais souvent associer une pièce à un courant artistique ou à l’oeuvre d’un.e artiste visuel.le et je vais commencer à piocher dans cet imaginaire. Ensuite viennent les premiers croquis, et le reste se fait en discussion avec la mise en scène, avec les autres concepteur.trices, et en observant les interprètes en répétition.»
«Dans des pièces de création, le travail est différent, car la conception arrive souvent en parallèle du texte et de la mise en scène. Il faut donc beaucoup parler avec les créateur.trices du projet et créer des espaces qui sont les plus inspirants possibles pour donner de la matière aux interprètes afin qu’ils improvisent à l’intérieur de ceux-ci. Dans ce cas, je vais plutôt me laisser inspirer par des thématiques: une chambre d’enfant, un hôtel désaffecté, etc., et créer un terrain de jeu en répétition avant même de commencer à dessiner.»
À quoi ressemble une journée typique pour toi, en tant que scénographe et accessoiriste? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Il n’y a pas vraiment de journée typique, comme vous pouvez l’imaginer! Mais je travaille souvent sur plusieurs projets en même temps, donc je vais me partager entre le travail de bureau (recherches d’images, dessin technique, budgets…), la recherche de matériaux ou d’accessoires, les réunions de conception et les répétitions.»
«Disons que le matin va plutôt être la mise à jour de mes projets: répondre aux e-mails, faire de la conception et de la recherche. L’après-midi, ce sont souvent des rencontres de conception ou des répétitions. Et à chaque déplacement, je vais m’arranger pour aller chercher un petit accessoire ou un bout de tissu sur le chemin pour optimiser mon temps!»
«Je suis 100% du temps en repérage. Il y a aussi toute une partie de bilan pour fermer les projets, faire la comptabilité, s’occuper des retours de location des productions qui sont finies, etc. Il y a quand même une grande part de gestion dans la création.»
«Le moment de l’entrée en salle est vraiment mon préféré : on met en commun tous les imaginaires des concepteur.trices, des interprètes et de la mise en scène. Ce moment où toute l’équipe converge vers un résultat collectif est vraiment précieux.»
Peux-tu nous parler des défis que tu as eu à relever dans le cadre de ta profession, que ce soit pour une production en particulier ou pour un évènement qui te vient en tête?
«Au début de ma carrière, j’ai été engagée par une compagnie assez établie, dont le projet avait de grands besoins en accessoires. J’avais été appelée à la rescousse par la scénographe qui m’avait donné le mandat de réaliser les accessoires «magiques». J’ai accepté en me disant que ça allait être le fun… avant de réaliser que c’était vraiment un mandat de magicienne!»
«Il fallait que les accessoires apparaissent et disparaissent sans être manipulés par personne, un vrai feu, mais sans flammes, et toutes sortes d’images impossibles avec un tout petit budget. J’ai passé des heures sur YouTube à essayer d’apprendre – littéralement – des trucs de magie et de pyrotechnie. J’ai fait des dizaines de recettes de sorcières, discuté avec des magiciens… J’ai tout essayé pour réaliser la vision de la mise en scène. On en rit aujourd’hui et tout a bien fini, mais en réalité toute l’équipe de conception était brûlée.»
«D’un côté, j’ai toujours gardé en tête qu’il faut être un peu magicienne pour être conceptrice d’accessoires, et j’adore cet aspect-là de mon travail. Mais de l’autre, ça m’a aussi fait comprendre qu’il n’y a aucun défi de création insurmontable, mais d’immenses défis de budget et de temps. Et pas seulement chez les compagnies émergentes.»
«C’est important de ne pas se vanter de «faire des miracles», mais il faut plutôt essayer de trouver des éthiques de travail où les concepteur·trices ont des conditions favorables pour réaliser les ambitions de la mise en scène. D’autant plus dans le contexte actuel et dans les années qui s’en viennent.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé et dont tu es particulièrement fière, ou qui t’ont particulièrement marquée?
«Je suis particulièrement fière de l’identité visuelle que mes collaborateur.trices et moi avons créée autour du collectif Grande Surface. Cet univers très coloré, ce mélange de contemporain, de bric-à-brac, de théâtre d’objets, de miniatures, avec un travail de vidéo en direct très imagé. Je me trouve chanceuse d’avoir pu explorer si librement avec ce collectif pendant près de cinq ans.»
«Je suis aussi très heureuse de mes collaborations avec Christian Lapointe, avec qui j’ai pu vraiment m’épanouir comme conceptrice, et qui m’a toujours laissé une grande liberté de création. C’est un des dialogues les plus riches que j’ai eus avec un metteur en scène, et avec l’ensemble des concepteur.trices dont il s’entoure, particulièrement la dramaturge Andréane Roy. Parmi ces créations, je suis particulièrement fière de la réalisation des maquettes de Pelléas et Mélisande.»
«Plus récemment, j’ai réalisé mon premier court-métrage expérimental intitulé La Claque, et j’ai été fascinée par le professionnalisme de toute l’équipe, qui venait du théâtre, de la danse et du cinéma. C’est un objet dont je suis assez fière, car réalisé en pleine pandémie, sans prétention et en un temps record (un peu moins de trois mois du scénario à la diffusion), et le résultat a vraiment dépassé mes attentes.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme artiste, selon toi, et qui fait que ta signature visuelle est reconnaissable dans tes œuvres?
«La première chose qui me vient en tête, ce sont les miniatures. Que ce soit avec le collectif Grande Surface, dans les maquettes de Pelléas et Mélisande, dans des créations comme Le Sixième Sens (une mise en scène de Michelle Parent, 2020) ou dans mes projets personnels, il y a une récurrence des jeux d’échelles dans mes conceptions.»
«J’aime beaucoup passer du micro au macro, développer des images poétiques en miniature, puis les faire déborder en recréant ces images avec les interprètes. Il y a ce quelque chose de très “symboliste” pour moi dans la reproduction d’une image, d’objets ou de personnages à plusieurs échelles.»
«Je pense que ma démarche se rapproche beaucoup du théâtre d’images, avec une forte influence cinématographique. En réalisant La Claque, je me suis rendu compte qu’en tant que conceptrice, j’aime beaucoup travailler avec la vidéo sur scène, car elle permet de créer des images fortes, un cadrage différent, des gros plans… Pour moi, la vidéo va de pair avec le travail de miniaturisation, car c’est à travers la caméra que les maquettes ou les objets sont sublimés.»
«De manière générale, je pense qu’on peut dire que mes conceptions sont assez éclatées. Des couleurs vives, beaucoup d’accessoires. Mes décors sont plutôt foisonnants. J’aime quand ça déborde, quand ce n’est pas slick, quand on peut tout salir, déplacer, renverser. J’imagine mes scénographies comme des terrains de jeu plutôt que des architectures.»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«En ce moment, je travaille sur le décor et les accessoires de la prochaine pièce de Christian Lapointe au Théâtre Prospero, Quand nous nous serons suffisamment torturés. La première devrait être le 23 février, donc on imagine que ça sera plutôt présenté l’an prochain, mais on est quand même en train d’aller au bout du processus de création. C’est un projet où l’aspect cinématographique est très présent, c’est un beau défi, car je dois penser la scénographie à la fois pour le public de la salle, et à la fois pour la caméra.»
«Je suis aussi en train de reprendre les répétitions pour ma création Sportriarcat, donc je signe la mise en scène et l’écriture. C’est un projet qui me passionne et où j’ai beaucoup de plaisir à penser la dramaturgie et la conception sans être moi-même conceptrice. Pour cette deuxième mise en scène, je suis accompagnée par une équipe de femmes vraiment talentueuses et inspirantes. Un laboratoire sera présenté en mai (on croise les doigts) dans un festival qui n’a pas encore dévoilé sa programmation.»
«Enfin, je suis en train de fermer la page de la compagnie La nuit / Le bruit dont j’étais codirectrice artistique, et je vais lancer ma propre compagnie de création au courant du printemps 2021. À suivre!»
Pour lire nos précédentes chroniques «Dans l’envers du décor», c’est par ici!
Les conceptions de Claire Renaud en images
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