ThéâtreDans la peau de
Crédit photo : Ina Lopez
Sébastien, peux-tu nous raconter d’où est née ta passion pour le théâtre et quels ont été les moments marquants de ton parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui?
«Quand j’étais jeune, je ne parlais presque pas. Ma mère m’a inscrit à des cours de théâtre pour me «dégêner», et j’ai simplement continué pendant toute mon enfance. Une fois au Cégep de Trois-Rivières en Arts, lettres et communications – Théâtre, je rêvais plutôt de devenir professeur de français. J’avais pris ma décision: je ne passerais pas les auditions pour entrer dans les écoles de théâtre. Mais mes professeures Anne-Marie Provencher et Michelle Dorion m’ont conseillé d’essayer et, sur un coup de tête, à la dernière minute, je me suis inscrit avec une amie. Et nous avons simplement appris les scènes dans l’auto en route vers Montréal.»
«Être accepté à l’École nationale de théâtre du Canada est certainement une première étape marquant dans un parcours. Puis, mes premières expériences en tant que jeune comédien, Terre Océane de Daniel Danis, mis en scène par Gil Champagne, et Le bruit des eaux qui craquent de Suzanne Lebeau, mis en scène par Gervais Gaudreault, ont été plus que formatrices. J’ai également eu la chance, avec ces spectacles, de tourner au Québec, en France, en Uruguay et en Argentine.»
«Aussi, jouer Harold dans Harold et Maude et Le bizarre accident du chien pendant la nuit sont deux de mes plus gros rôles dirigés par Hugo Bélanger. Le fait de rencontrer ces personnages exigeants m’a permis d’approfondir ma démarche artistique.»
Pour la première fois, tu travailles avec l’auteur Sébastien Harrisson et le metteur en scène Eric Jean dans le cadre d’une production de la compagnie Les 2 Mondes. Peux-tu nous parler de ton ressenti face au texte, et nous jaser en quelques mots de la vision artistique du metteur en scène?
«Je suis très heureux de retrouver Eric Jean, qui était justement directeur adjoint à l’ENT lors de mon passage. J’ai toujours aimé comment Eric travaille sur le corps, l’image et les ambiances fortes. Et j’aime particulièrement les idées du décor de Pierre-Étienne Locas, qui est symboliquement l’objectif d’une caméra. C’est comme s’il faisait un gros plan sur les personnages.»
«Inspiré par une photo postée sur Twitter par l’activiste Chelsea Manning, l’auteur nous montre la fuite de Chelsea face au monde médiatique et sa fatigue de la militance. Bien que ce soit moi qui joue Chelsea, c’est vraiment un spectacle à quatre voix.»
«La force du texte de Sébastien, c’est d’offrir une fiction qui confronte deux personnages tirés du réel, avec deux personnages inventés. La quête de chacun des quatre personnages est très étoffée. Chacune des histoires et des relations est entremêlée pour que toutes s’affectent, comme dans un effet domino.»
«On assiste à un réseau complexe de relations et de pouvoir où les actions ciblées nous font avancer dans un étrange thriller.»
Becoming Chelsea parle de la figure trans américaine Chelsea E. Manning, une activiste qui s’est fait emprisonner suite à l’importante fuite de données – liées à des documents militaires classés secret défense – qu’elle a transmise à WikiLeaks. Qui t’a approché pour interpréter le rôle-titre de cette pièce, et qu’est-ce qui t’a donné l’envie de te glisser dans la peau d’un tel personnage?
«On oublie souvent à quel point les soldats sont jeunes. Chelsea, comme beaucoup d’Américains, est allée dans l’armée pour payer ses études, échapper à la pauvreté, pas nécessairement pour faire la guerre. Suite à la fuite de données, elle a continué de vivre plein d’intimidation en prison, ainsi que sous le regard des médias.»
«C’est Sébastien Harrisson qui avait vu, en 2009, La Robe de Gulnara d’Isabelle Hubert. Dans ce spectacle, je disparaissais en coulisse d’un côté et je réapparaissais de l’autre côté, méconnaissable, en vieillard. Ça l’a beaucoup inspiré, et il a eu envie d’écrire une pièce où je pourrais me transformer et jouer plusieurs personnages.»
«Sauf qu’ici, c’est plusieurs étapes de la vie de Chelsea Manning que je joue. Ce que j’aime, c’est de voir tous les différents personnages qui sont à l’intérieur de Chelsea. Les quêtes et les grandes questions qui l’habitent en font un personnage très riche et significatif pour notre époque. C’est excitant de la jouer, parce que c’est une personne bien réelle qui existe.»
Peux-tu nous parler du processus de transformation en lien avec ton jeu d’acteur?
«Je souhaite rester fidèle à ce que Chelsea veut bien nous montrer en entrevue. Fidèle à ses mouvements, à sa façon de répondre. J’aurais approché autrement la création de mon personnage si Chelsea n’avait pas déjà existé. Je veux garder sa naïveté et sa candeur, de même que son intelligence. Je veux lui coller à la peau, tout en nous permettant de jouer une fiction sur scène. Même les costumes de Marie-Audrey Jacques et le maquillage-coiffure d’Angelo Barsetti sont fidèles mais créatifs. Autrement dit, le défi est de trouver le juste milieu entre la réalité et la fiction.»
Pour terminer, y a-t-il un autre rôle marquant que tu n’as pas encore endossé et que tu rêverais d’incarner un jour sur scène – ou derrière la caméra –, et si oui, lequel et pourquoi?
«Ça peut paraître drôle, mais j’aimerais jouer un illusionniste! J’aimerais jouer un personnage de prestidigitateur qui performe des illusions très précises, très travaillées. Et je rêve aussi de jouer dans un spectacle de danse, par exemple, un personnage qui serait un danseur, pour que je me confronte à quelque chose de très chorégraphié, encore une fois, pour continuer de me pousser plus loin en tant qu’interprète.»