ThéâtreDans la peau de
Crédit photo : Marc Dussault
Marilyn, tu es la codirectrice artistique – avec Annie Ranger – du Théâtre I.N.K., qui fête justement ses 20 ans cette année. Wow, c’est un bel anniversaire! Quel regard portes-tu sur ces deux dernières décennies de création, de défis et d’accomplissements: la mission et les valeurs de la compagnie ont-elles changé depuis sa création, et si oui, de quelle façon?
«La mission et les valeurs de la compagnie n’ont absolument pas changé, on crée toujours avec autant de ferveur des textes d’auteur∙e∙s québécois∙e∙s qui soulèvent des questionnements et des réflexions sur certains paradoxes de la société d’aujourd’hui, et ce, tout en subtilité, en poésie et en sensibilité.»
«Aussi, on est toujours aussi attachées à l’exploration de la friction entre les textes, les mouvements et parfois d’autres disciplines comme la vidéo.»
«Si nos valeurs et notre mission n’ont pas changé d’un poil, on peut par contre dire qu’on s’est donné un défi à la hauteur de nos vingt ans pour notre nouvelle création Duo en morceaux. Nous avons créé un spectacle qui repose presque entièrement sur l’aléatoire et qui s’est bâti en réunissant le travail de huit metteures en scène et chorégraphes de tous horizons.»
«Pour ce spectacle, on a invité des créatrices qui, comme nous, touchent au mouvement et aux mots dans leurs démarches respectives, et avec qui on partage d’autres façons d’aborder la friction entre ces deux langages.»
Justement, c’est du 25 octobre au 12 novembre que ta toute nouvelle création Duo en morceaux sera présentée au Théâtre Aux Écuries. Dans ce «récit en 16 fragments d’une histoire d’amour qui dure toute une vie», on suit l’histoire d’un couple, celui de Philippe et Clémentine, de leur rencontre à l’adolescence jusqu’à leurs derniers jours ensemble. D’où t’est venue l’envie d’aborder «toutes les expériences d’un couple: premiers émois, engagement, première trahison, départ des enfants et premiers oublis…» au sein de ce spectacle?
«Pour moi, l’amour a toujours été une grande source de mystère, dans le sens que, “faire sa vie avec quelqu’un”, c’est tout de même le résultat d’une grande suite de hasards qui font que tu vas partager ta vie pendant un temps plus ou moins long avec telle ou telle personne rencontrée dans un congrès, dans un bar, sur les réseaux sociaux, par le biais d’un mariage forcé, etc.»
«Pour chaque histoire d’amour qui existe sur terre, le premier baiser, la première rencontre, la première fois qu’on fait l’amour n’auront jamais lieu dans le même contexte. Ensuite, la vie elle-même et les partenaires vont se charger tout aussi aléatoirement de changer le cours de cet amour.»
«Par exemple, est-ce que la personne aimée mourra? Est-ce qu’il y aura une infidélité? Est-ce que cette infidélité brisera le couple? Ce dernier réussira-t-il à passer au travers? Est-ce qu’il y aura des enfants dans le décor? Auront-ils été voulus ou bien seront-ils apparus par accident?»
«C’est pour témoigner de toutes ces grandes étapes d’un couple que j’ai souhaité que la relation de Philippe et Clémentine s’étende de l’adolescence jusqu’au crépuscule de leurs vies.»
En tant qu’idéatrice et maître d’œuvre du projet, tu as rallié huit créatrices de la francophonie (Québec, France et Belgique) pour que chacune mette sa main à la pâte. Ainsi, toutes ont pu «mettre en mots et/ou en mouvements deux moments vécus par le duo, à des âges différents, et qui traduisent leur propre vision de la relation amoureuse.» On aimerait que tu nous jases de ce que tu aimes en particulier chez ces créatrices, tant sur les plans humain qu’artistique?
«Pour comprendre le raisonnement qui se cache derrière notre envie de travailler avec huit metteures en scène et chorégraphes, il faut d’abord rappeler que le fait de créer un théâtre de paroles accompagné de mouvements n’est pas une chose simple. Il y a toujours un dosage minutieux à faire entre ce qui est porté par les mots et ce qui s’exprime par le mouvement; l’un ne devant être le pléonasme de l’autre.»
«Au I.N.K., pour chaque nouvelle œuvre, on se donne comme mission de redéfinir ce que le mouvement fera ressortir ce qui est exprimé par le texte. Parfois, le mouvement vient en contradiction avec ce qui est dit; parfois, il vient souligner la poésie du texte; ou encore, parfois, il rajoute du quotidien dans un univers plus métaphorique.»
«Chaque créatrice choisie pour travailler sur Duo en morceaux a, à un moment de sa carrière, touché à cette recherche de création à partir de mouvements et de mots. Certaines travaillent en extrême sobriété, d’autres avec éclat, certaines ont l’habitude d’explorer la parole complètement déconnectée du corps, alors que d’autres partent des corps pour ensuite y ajouter des mots.»
«C’est cette profusion de manières de créer qui fait la richesse de Duo en morceaux.»
C’est une production qui sera «à géométrie variable» puisque, chaque soir, le hasard déterminera sept fragments de l’histoire du couple et leur ordre de présentation. Pourquoi avoir opté pour une production évolutive qui n’est jamais figée au niveau de la narration et où tout peut changer d’une représentation à l’autre?
«S’il y a bien une chose dans la vie qui est imprévisible, c’est l’amour. Généralement, on ne sait pas quand et où il se présentera à nous; on ne sait pas non plus comment il évoluera. Et même si la plupart des sociétés tentent de le dompter par le mariage, des définitions, des règles, ou en tentant de nous vendre l’American dream du couple avec enfants, maison, auto, chiens et chats, l’amour, lui, entraîne habituellement les partenaires dans des zones de non-contrôle et de vulnérabilité.»
«Une infidélité, un décès, une maladie, un désaccord sur le fait d’avoir des enfants ou non, le départ de ces enfants, la retraite… Tous ces éléments peuvent faire vaciller le couple, le redéfinir, ou carrément l’amener ailleurs.»
«Au fil de nos recherches, on s’est rendu compte que l’amour est également fait de bilans, de projections dans l’avenir et de rêves, et qu’il n’est pas toujours ancré dans le moment présent. Cet aspect a donc joué dans la construction de la structure des représentations pour qu’elle permette de faire des retours en arrière, mais aussi que le couple puisse s’imaginer ce qu’il pourrait devenir dans l’avenir.»
Et alors, dis-nous tout: quels sont les prochains projets à venir pour le Théâtre I.N.K., à court ou moyen terme?
«Pour les prochaines années, le Théâtre I.N.K. prévoit de mettre en scène un magnifique texte de l’autrice Tamara Nguyen, Maelström, qui nous transportera dans un univers inventé de toutes pièces par les protagonistes pour échapper à une quelconque menace extérieure.»
«Ce texte, qui se penche sur la place de l’être humain parmi tous les éléments qui constituent notre monde depuis le début de son évolution, sera mis en scène par Annie Ranger, codirectrice artistique de la compagnie.»
«On travaillera également Hit! de Julien Beauseigle, un opéra hip-hop internet pour adolescent∙e∙s qui aborde (notamment par le rap) la cyberintimidation, la représentation de soi sur les réseaux sociaux et l’ambition numérique. Ce texte, par l’utilisation de multiples moyens de communication écrite (textos, commentaires Facebook, courriels, etc.) laissera une très grande place à l’exploration de la vidéo sur scène.»
«Et finalement, dans quelques années, nous nous attaquerons dans Corps marqués aux empreintes que laissent un métier, une condition sociale, un handicap et même le temps sur le corps qui nous a été attribué à la naissance.»
Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.
*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre Aux Écuries.
Le spectacle «Duo en morceaux» en images
Par Sylvie-Ann Paré