ThéâtreDans la peau de
Crédit photo : Jean-François Hétu
Mani, tu es à la fois comédien, dramaturge et metteur en scène. Peux-tu résumer à nos lecteurs d’où est née ta passion pour le théâtre, ainsi que les moments charnières de ta carrière jusqu’à aujourd’hui?
«C’est pas mal une histoire clichée de jeune adolescent qui découvre le théâtre au secondaire. En fait, plus précisément c’est Luc Bernier, le prof d’art dramatique de l’école secondaire Étienne Brûlé à Toronto qui m’a invité à faire partie de la troupe de théâtre de l’école et qui m’a ensuite expliqué que c’était possible d’aller dans une école de théâtre et d’en faire un métier.»
«Ensuite, il y a eu l’École nationale de théâtre du Canada. En sortant de l’école, j’ai été très chanceux: j’ai tout de suite eu la chance de travailler avec de grands metteurs en scène que j’avais d’ailleurs rencontrés sur place. Deux de mes rencontres marquantes ont été Alice Ronfard et Claude Poissant. Par après, j’ai eu la chance de travailler pour la première fois, professionnellement, avec Ronfard à ESPACE GO, puis j’ai été engagé comme stagiaire pour Poissant à l’époque où il était au PàP (Théâtre Petit à Petit).
«J’ai eu la chance de faire parti de deux créations de suite avec Claude: Rouge Gueule d’Étienne Lepage, comme stagiaire et interprète, ainsi que Dragonfly of Chicoutimi. Puis les projets se sont enchaînés. J’ai été très chanceux, car les portes se sont ouvertes pour moi assez rapidement. J’ai par la suite reçu l’invitation d’Éric Jean au Quat’Sous, pour venir parler de moi et de mon pays de naissance. Une sorte de carte blanche qui a fini par donner UN, que j’ai finalement joué plus de deux-cents fois, ici comme en Europe.»
«Il y a eu bien sûr la série UN, DEUX et TROIS que j’ai eu la chance de créer ici au Festival TransAmériques (FTA). Monter sur scène avec quarante interprètes n’est pas une expérience anodine! Surtout que j’ai eu la chance de recréer le tout en France avec quarante Français, en plus de présenter la version française de la trilogie dans trois théâtres différents, et ce, une à la suite de l’autre! Le théâtre Gérard Philippe, le Théâtre national de Chaillot et le Tarmac. J’adore souligner que c’est du jamais vu en France, à Paris: une production qui fait trois théâtres en même temps.»
«Finalement, je dirais que chaque expérience sur scène, comme interprète ou bien comme auteur ou metteur en scène, est un moment charnière en soi. Nous ne sommes que l’accumulation, l’addition des expériences passées.»
En 2011, tu as fondé ta propre compagnie de théâtre intitulée Orange Noyée. Dans quel contexte as-tu décidé de te lancer dans ce grand projet, et quels types de spectacles présentez-vous aux amateurs de théâtre depuis?
«C’est vraiment la création, presque par accident du spectacle UN qui a déclenché le tout. J’avais envie et besoin d’une structure pour pouvoir créer mes propres projets. C’était très instinctif comme besoin. Jamais je ne pensais créer huit spectacles, les tourner partout au Canada et en Europe. Avec UN, il s’est dessiné une façon de faire qui est devenue notre signature chez Orange Noyée: faire un théâtre où l’interprète est au centre de la création, un théâtre engageant et non engagé.»
«Nos projets ont, jusqu’à maintenant, porté un regard sur qui nous sommes. Qu’est-ce qui nous définit? En gros, on peut dire que de ZÉRO à DIX, on a questionné l’identité dans presque toutes ses facettes. Bon, ça a l’air lourd dit de même, mais il ne faut pas oublier que cette question identitaire est posée parfois avec, entre autres, quarante interprètes sur scène, des tounes de hip-hop, des moments de lip synch, de la danse, des rires, des mises en abîme, bref, on tente d’avoir beaucoup de plaisir, et surtout que ce plaisir soit contagieux! On le souhaite, en tout cas!»
Du 11 au 23 novembre 2019, tu présenteras ta pièce ZÉRO à La Chapelle Scènes Contemporaines, dans un lieu qui représente un retour aux sources, comme c’est là où tout a commencé pour toi. Peux-tu brièvement nous raconter l’histoire dans tes propres mots, et nous en dire plus sur cette nouvelle création?
«J’ai senti le besoin de retourner au solo avant tout. J’ai senti le besoin de repenser à tout ce qui a été créé et dit depuis 2011. J’en suis où après huit spectacles?»
«Deux évènements ont déclenché l’envie et la nécessité de raconter ZÉRO. Le premier est une histoire que mon père m’a racontée très récemment au sujet de notre départ de l’Iran. J’ai appris finalement qu’il me manquait des détails assez majeurs au sujet du pourquoi de notre départ, ce sur quoi j’ai basé UN. Donc, j’ai senti le besoin de tenter de rectifier le tir. De repartir à ZÉRO, de tenter de recommencer. Est-ce possible de faire une version deux de tout ça?»
«Ensuite, c’est la faute à notre époque! J’ai senti le besoin de réfléchir à notre rapport de plus en plus épineux à l’autre, ce racisme de plus en plus décomplexé, cette idée que l’Autre est maintenant si souvent et si violemment pointé du doigt, tenu responsable de tous nos maux. On retrouve alors le Mani de UN, DEUX et TROIS, plus vieux, plus «mature», plus comme «notre époque». Et, pour ce faire, je me suis dit que La Chapelle Scènes Contemporaines est la place idéale pour retourner aux sources, retrouver ce personnage, ce Mani d’avant. Je n’en dirai pas plus par peur de divulagâcher des trucs!»
«Se rajoute à l’expérience du solo un deuxième volet au spectacle. Le 23 novembre, à la fin de ma série de représentations, on va présenter DIX pour un soir seulement. DIX sera l’épilogue de ZÉRO. Je demande à DIX artistes de venir clore le cycle des chiffres entamé avec UN en 2011. Je demande à dix artistes de venir faire, comme moi, recommencer à ZÉRO, repartir à neuf. S’ils pouvaient, ils feraient quoi, comment, avec qui? Clore le cycle sans moi.»
«Donc, tous ceux et celles qui ont vu ZÉRO à La Chapelle Scènes Contemporaines auront accès à cet épilogue… dans la limite des places, bien sûr. Un genre de happening. Premier arrivé, premier servi!»
Et comment s’est passé le processus créatif de ce spectacle, alors?
«C’était très particulier de se retrouver seul en salle de répète. Quand j’ai fait UN, il y avait une naïveté, une inconscience, un laisser-aller que je n’arrivais pas à retrouver en début de processus pour ZÉRO. Ensuite, assez rapidement, j’ai retrouvé le chemin, enfin j’espère! Je suis encore dans le processus créatif! Difficile de faire le bilan à deux semaines de la première! On s’en reparle après la première?»
Si tu avais carte blanche, quel projet théâtral un peu fou aimerais-tu réaliser, avec quels autres intervenants de la scène artistique québécoise, et pourquoi?
«Nous sommes en train de mettre sur pied plusieurs projets chez Orange Noyée. Les plus débiles les uns que les autres. Le premier sur la liste est de faire l’adaptation du Livre des Rois du poète perse Ferdowsi. Le livre des Rois (le Shahnameh) est un poème épique relatant l’histoire de la Perse antique jusqu’à l’arrivée de l’Islam en Iran, écrit aux alentours de l’an 1000.»
«L’idée est de regrouper dix artistes iraniens et iraniennes, des expatriés, vivant en France, aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, bref, un peu partout dans le monde, et de les accueillir sur scène, ici à Montréal, et de tenter de raconter les mythes fondateurs de ce pays auquel nous sommes tous rattachés.»
«On parle donc d’une création internationale qui regroupera DIX créateurs iraniens issus de plusieurs pays différents, qui tentent ensemble de raconter 60 000 distiques relatant l’histoire de la Perse antique… ce genre de projet fou! Et plein d’autres! Stay tuned, comme on dit… ;)»