ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Vingt comédiens, dont au moins la moitié joue plus d’un rôle; une scène énorme où sont juchés de grands panneaux de bois à deux étages pouvant être déplacés pour devenir tantôt des loges de théâtre, tantôt un balcon; des costumes d’époque aux couleurs flamboyantes; d’innombrables répliques-fleuves; des feuilles automnales qui tombent du plafond; des combats d’épées, des explosions… n’y a-t-il pas là de quoi régaler les yeux et les oreilles des spectateurs?
Rien n’est trop beau ni trop grand pour Cyrano de Bergerac, ce récit à la Belle et la Bête dans lequel on retrouve un triangle amoureux comprenant une femme (Roxane) aimée par deux hommes: l’un doué de beauté (Christian de Neuvillette), l’autre doué avec les mots d’amour (Cyrano de Bergerac), qui décideront de faire équipe pour ne former qu’un et charmer la demoiselle grâce à leurs atouts réunis. Sans doute la plus grosse production théâtrale de l’année, celle-ci a d’ailleurs été rendue possible grâce à une coproduction entre le Festival Juste pour rire et le Théâtre du Nouveau Monde.
Le ravissement visuel est total, puisque l’interprète principal de la pièce est impressionnant à voir aller. Qu’il soit en plein combat de fleuret ou en grande tirade romantique, rien n’arrête Patrice Robitaille, qui joue autant avec son corps qu’avec ses mots. Les chorégraphies sont efficaces et, si c’est parfois un peu le chaos, surtout lorsque la totalité des cadets de Gascogne sont présents sur scène, certains moments bien ficelés entre une poignée de comédiens offrent de belles scènes.
C’est notamment le cas de la rencontre entre un Cyrano farceur et un Comte de Guiche (Gabriel Sabourin, très convaincant) déterminé à aller à la rencontre de celle dont il est épris: la belle Roxane (Magalie Lépine-Blondeau, touchante et amusante). Alors que de Bergerac doit gagner du temps et empêcher de Guiche de se rendre à destination, les deux comédiens se livrent à une danse comique qui finira par faire lâcher-prise au personnage de Sabourin devant tant d’ingéniosité de la part du plaisantin.
S’il y a beaucoup de personnages dans ce récit romanesque campé dans les années 1600, il faut dire que la mise en scène de Serge Denoncourt et la création des costumes de François Barbeau aident grandement à reconnaître les différents marquis, comtes et capitaines qui défilent sur la scène. C’est en effet grâce aux couleurs des costumes, déclinées en de nombreuses teintes que chaque personnage porte distinctement du début à la fin, qu’il est aisé, notamment, de reconnaître le bleu «Espagnol malade» du Comte de Guiche ou encore le pourpre de Brissaille. Lorsque tous les personnages sont sur scène, avec leur grand chapeau coloré, l’effet est d’ailleurs des plus saisissants, comme lorsqu’on ouvre une boîte de Prismacolor. Brissaille (Samuël Côté) et ses deux comparses, avec leur éventail aux mêmes couleurs que leurs costumes, sont d’ailleurs des plus colorés, autant visuellement que leur personnage, amenant beaucoup de comique – et de rires – à la pièce.
Mais malgré tous ces artifices et le grandiose des costumes, maquillages, accessoires et décors (il faut souligner la magnifique boulangerie de Ragueneau, ses étalages de pains et son enseigne suspendue dans les airs), ce sont les oreilles, avant tout, qui demeurent les plus ravies. Le texte d’Edmond Rostand n’étant-il pas lui-même une véritable ode à la beauté et au pouvoir des mots, ainsi qu’à la poésie? La tirade du nez de Cyrano ou la grande tirade au balcon de Roxane n’ont plus besoin de présentations, mais il demeure malgré tout étonnant de constater le nombre et la longueur des répliques du personnage. Il s’agit d’un véritable tour de force de la part de Patrice Robitaille d’avoir appris et maîtrisé à la perfection ce nombre incalculable de mots, mais aussi ce rythme mélodieux, ces silences, ces hésitations et ces élans d’amour qu’on dirait vraiment sincères.
L’interprète est éblouissant, il joue le rôle de sa vie et il le sait! Et les spectateurs y croient sans aucun doute, puisque Robitaille joue grand. Pas pour en ajouter et s’élever au niveau du reste, mais plutôt parce qu’il l’est, grand. Et même s’il éclipse malheureusement la plupart des autres comédiens par sa justesse et sa grandeur, il y a tout de même un détail qui est des plus appréciés et qui concerne tous les acteurs: Cyrano de Bergerac est grandement teintée d’humour, et il plaît de voir que personne n’est tombé dans la bouffonnerie en exagérant ses gestes. Il n’en est nul besoin, puisque les mots de Rostand parlent d’eux-mêmes.
Ce qui ravit également les oreilles, c’est l’exquise musique de Philip Pinsky. Parfois enlevante, parfois douce, elle mêle le plus souvent les violons et les tambours pour se coller parfaitement aux ambiances tantôt romantiques, tantôt de guerre. Si elle est quelquefois trop suggestive, forçant presque le spectateur à se mettre dans un tel état voulu, elle est néanmoins magnifique et permet souvent de magnifier davantage une scène.
Oui, tout de Cyrano de Bergerac est grandiose et magnifique. Et malgré quelques maladresses – une chute ici, un micro cogné par là – et une deuxième partie nettement moins rythmée et divertissante que la première, agissant presque comme un épilogue où les destins de chacun des personnages sont retracés quatorze ans plus tard, c’est ni plus ni moins qu’une soirée majestueuse que les spectateurs de la salle comble du Théâtre du Nouveau Monde ont vécu. Et c’est sur une scène tout aussi imposante que la tâche d’adapter ce classique de la littérature française pour Denoncourt et son impressionnante distribution (aussi François-Xavier Dufour en Christian, Luc Bourgeois en Le Bret, Normand Lévesque en Ragueneau et Daniel Parent en Lignière et Carbon de Castel-Jaloux, notamment) que la pièce s’est terminée.
Après quelques longueurs, il n’en fallait pas plus pour que la tirade finale, le dernier aveu, la dernière bataille de ce combattant invétéré saisisse l’audience à nouveau et la secoue bien comme il le faut, émotionnellement parlant. Les nombreuses ovations, qui ont duré de longues minutes, prouvent que Cyrano de Bergerac est effectivement beau et grandiose, et ce, en dépit de son nez en péninsule.
Des supplémentaires ont déjà été annoncées pour «Cyrano de Bergerac» au Théâtre du Nouveau Monde. La pièce sera donc présentée jusqu’au 16 août, puis du 19 au 23 août.
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de la rédaction