ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Courville aborde les thèmes de l’adolescence, du deuil ainsi que l’impact du regard des autres, et campe son action dans la banlieue de Québec dont elle porte le nom, Courville, au milieu des années 1970.
Tensions linguistiques, rock progressif (les sonorités extraordinaires de Deep Purple et King Crimson, entre autres, font vibrer la salle à plusieurs reprises), la guerre froide importée par le biais des matchs de hockeys canado-soviétiques: tout ceci s’entremêle au désarroi du jeune Simon Roberge, 17 ans, dont le père vient de mourir et qui se voit relégué au sous-sol par sa mère, laquelle loue sa chambre à un oncle alcoolique qu’il déteste afin de pallier leurs problèmes financiers.
C’est dans cette cave sombre, entre la laveuse, la sécheuse, un vieux divan rouge et un tourne-disque où il fait jouer ses morceaux préférés au volume maximum pour couvrir les ébats de sa mère et de son oncle que Simon ruminera ses idées noires et s’interrogera sur ses sentiments et désirs envers son amie Sophie et le sauveteur de la piscine du quartier, Mathieu.
Olivier Normand incarne Simon à l’âge adulte: devenu sculpteur, il raconte le récit de ces années charnières au moyen de personnages qu’il a créés de ses propres mains.
Le décor du sous-sol reviendra sans cesse au cours du spectacle, grâce à un plateau incliné qui s’élève et s’abaisse pour révéler tantôt les rues de Courville qui défilent au rythme du pas de course de Simon, sur les trois écrans encadrant la scène; tantôt la piscine municipale, d’un réalisme qui donne envie de se pincer, tandis que la marionnette de Simon fait des longueurs sous une toile mouvante; tantôt une caverne étincelante de pierres précieuses parcourue de chauves-souris.
Les dons de magicien de Robert Lepage se déploient ici dans toute leur splendeur, faisant s’effondrer toute barrière au pouvoir de la scénographie, et magnifient les décors savamment conçus par Ariane Sauvé.
Une chorégraphie finement tissée
Il n’y a aucune coïncidence dans cette mise en scène imaginée comme un casse-tête dont les morceaux s’imbriquent peu à peu les uns dans les autres: la métaphore de Batman, présente à travers de nombreux petits et grands détails, les liens entre Simon et son père, même la combinaison orange que porte Olivier Normand et qui semble, à première vue, pour le moins excentrique sur le dos d’un sculpteur: rien n’est laissé au hasard.
Le contexte politique de l’époque où le Québec tentait d’accéder à sa souveraineté et d’élire son premier gouvernement indépendantiste s’intègre à l’histoire au moyen de multiples archives diffusées en arrière-plan et fait écho au périple intérieur traversé par Simon.
Olivier Normand s’est vu attribuer une tâche colossale lorsqu’on lui a demandé de reprendre la narration de cette histoire: il incarne non seulement Simon à différents âges, mais également sa mère, son oncle, son père, ses amis Sophie, Mathieu et Éric, en plus d’un prêtre et d’un médecin! Sa performance est effectuée avec tant de fluidité que l’on met un certain temps à se rendre compte que c’est bel et bien lui qui parle derrière chaque marionnette.
Olivier Normand parvient tour à tour à se fondre derrière les petits personnages et à commander la scène lorsque cette dernière le requiert.
Le travail des marionnettistes, tous vêtus et cagoulés de noir sur scène, ne saurait être passé sous silence: le réalisme avec lequel se meuvent les marionnettes (notons le chien aux émotions débordantes qui pourchasse Simon à travers la banlieue) nécessite une chorégraphie exigeante et calculée avec la plus grande précision.
Si Courville épate et éblouit grâce à sa mise en scène et sa scénographie spectaculaires, on en ressort néanmoins le cœur serré par la lourdeur de son propos et la souffrance de ses personnages: alcoolisme, suicide, deuil, honte, entre autres, imprègnent la pièce d’un parfum amer.
C’est toutefois la marque d’une grande œuvre: parvenir à faire réfléchir autant qu’à divertir.
La pièce «Courville» de Robert Lepage en images
Par Yves Renaud
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