«Après» de Serge Boucher au Théâtre d’Aujourd’hui – Bible urbaine

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«Après» de Serge Boucher au Théâtre d’Aujourd’hui

«Après» de Serge Boucher au Théâtre d’Aujourd’hui

Se rapprocher de l’humain pour comprendre la bête

Publié le 2 mars 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Valérie Remise

Il y a de ces sujets tabous, de ces évènements de l’actualité trop récents encore pour que quiconque ose s’y frotter. Mais comme l’auteur Serge Boucher n’est pas comme tout le monde, et comme il aime s’aventurer sur des terrains qui risquent de glisser, de provoquer des réactions, il a écrit pour le théâtre Après, une pièce inspirée d’histoires très médiatisées qui n’ont laissé personne indifférent. Présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 19 mars 2016, la pièce se veut aussi touffue et troublante que les œuvres télévisuelles Aveux (2009) et Apparences (2012), du même auteur, mais n’arrive malheureusement pas à parvenir à ses fins.

Patrick est à l’hôpital, car il a tenté de se suicider après avoir tué ses deux enfants; deux garçons, deux jumeaux. Adèle, infirmière à l’établissement où il est traité en attendant son procès, n’a pas le choix de bien s’occuper de ce patient, malgré tout ce qu’elle entend et lit dans les médias à son sujet; malgré ce qu’elle pense de l’acte qu’il a commis; malgré qu’elle aurait préféré qu’il ne rate pas son suicide. Parce qu’il y a toujours un «après» à ce genre de situations et à force de se côtoyer obligatoirement, les deux finiront inévitablement par développer une relation, voire une certaine intimité. Car derrière chaque monstre se cache un humain, et parce que les gens bien réussissent toujours à voir le bien chez les autres, Adèle laissera peu à peu tomber ses barrières, et laissera son humanité gagner sur sa moralité.

Avec une telle prémisse, inutile de préciser à quelles histoires s’est rapporté Serge Boucher pour sa nouvelle création. Tout ce qui compte, c’est qu’il y a là un matériel intéressant pour provoquer des réflexions, même des malaises; pour déranger, aussi, pour saisir n’importe quel spectateur. Pourtant, c’est avec une sorte de détachement que les personnages évoluent dans cette pièce, et c’est avec le même sentiment que l’auditoire ressort de la salle de théâtre, n’ayant pas réussi à se laisser ni attendrir ni choquer. Le personnage de Patrick est plutôt passif, ne réagissant d’aucune façon lorsque l’infirmière lui balance de cruelles vérités au visage, et n’ayant des crises de larmes et s’effondrant uniquement au souvenir non pas du départ de sa femme ou de ses enfants, mais plutôt de celui de Pitou, son chien durant l’enfance.

La pièce aurait-elle été plus forte si Patrick avait été moins stoïque? Aurait-on mieux compris le dilemme moral et les émotions ambivalentes d’Adèle si on l’avait sentie plus attendrie, ou encore compréhensive, ou même sous le charme de l’homme, au fur et à mesure qu’elle apprenait à le connaître et à voir l’humain derrière le monstre? De sentir davantage d’affection de la part de l’infirmière envers son patient aurait très certainement troublé, voire créé un malaise. Et tant qu’à parler d’un sujet qui dérange, n’aurait-on pas souhaité que Serge Boucher enlève ses gants blancs et s’y plonge jusqu’au cou, s’amusant avec le spectateur pour le perturber comme il l’avait si bien fait dans Apparences, par exemple?

Bien sûr, malgré un début très lent, la relation entre Patrick et Adèle – tout comme le jeu d’Étienne Pilon et de Maude Guérin – nous touche de plus en plus, à mesure que l’histoire et que leur relation progresse, mais de trop nombreux noirs sur la scène, servant à marquer les visites de l’infirmière au patient, empêchent de bien plonger dans le récit et de se laisser saisir. Toutes les montées dramatiques ou d’émotions qu’il pourrait y avoir sont ainsi avortées, et ce procédé, utile pour marquer le temps, nuit à la réception du spectacle et à ce que l’auteur souhaitait véhiculer comme réflexion. La sauce ne lève donc pas, la pièce manque de saveur pour rehausser le tout et nous captiver, sans compter l’étrange et maladroit support audio, comme un haut-parleur mal branché, qui est non seulement agressant, mais aussi trop directif, nous disant presque comment on devrait se sentir ou nous avertissant d’un malaise ou d’un moment intense – qui n’en est finalement pas véritablement un.

Il est toutefois très intéressant de voir le jeu tout en retenue de Maude Guérin, qui joue une femme tout ce qu’il y a de plus «commun», bien qu’on sait qu’elle est capable de beaucoup plus d’intensité. Étienne Pilon est lui aussi très constant dans son interprétation, par moments même touchant dans sa vulnérabilité, malgré le peu d’éclats du spectacle. Comme décor, une chambre d’hôpital. Une seule issue – très étroite – à la pièce exigüe, de laquelle émergent les personnages avec autant de difficulté qu’ils en ressortent. La mise en scène de René Richard Cyr aura finalement réussi à transmettre un message: on ne sort pas si aisément de cette bulle, de cette relation qui s’est développée entre les deux.

Car c’est là la force habituelle de Serge Boucher, et qu’on retrouve encore une fois dans Après: plonger des personnages à la vie banale dans la misère, dans un mal-être, et les regarder trouver le bonheur dans des choses plus ou moins insignifiantes. Lorsqu’on n’a ou qu’il ne nous reste plus rien, il y aura toujours l’aspect relationnel et le contact humain qui saura combler le vide. Ici, Adèle est passée par-dessus le monstre et a décidé de se rapprocher de l’humain derrière pour comprendre l’acte commis par la bête. Et quand on arrive à outrepasser tout, à créer cette sorte de lien significatif avec une personne, il est difficile à effacer.

«Après» de Serge Boucher, d’après une mise en scène de René Richard Cyr, est présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 19 mars 2016.

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