ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Charles-Olivier Royer
Alice Birch, qui a depuis participé à la scénarisation de plusieurs œuvres cinématographiques et télévisuelles, dont Normal People et Succession, a remporté en 2018 le prix Suzan Smith Blackburn pour ce texte. Anatomie d’un suicide raconte, de façon à la fois désordonnée et maîtrisée, et ce, en jouant sur plusieurs temporalités, les problèmes de santé mentale d’une lignée de femmes.
Le voile noir de la dépression affecte particulièrement le personnage de la grand-mère, interprété par Sarianne Cormier, prisonnière d’une grande maison de campagne, gaslightée par son mari et institutionnalisée pour traiter son hystérie. Isolée dans son manoir. Étourdie par les pleurs incessants de sa fille.
La mère, incarnée par Amélie Dallaire, qui nous impressionne de plus en plus à mesure qu’on la découvre dans diverses productions, se réfugie plutôt dans la drogue et le sexe. Même une relation en apparence saine avec un documentariste ne l’empêchera pas, une fois mère, de sombrer dans une profonde dépression post-partum. Quant à la fille, à qui prête ses traits la brillante Larissa Corriveau, elle sabote ses relations amoureuses et choisit avec parcimonie les choses qu’elle daigne exprimer à son entourage.
Le talent de Birch ne se limite pas uniquement à dresser un portrait ambitieux de ces trois générations de femmes courageuses, à les rendre tangibles et réalistes, mais aussi à peupler leur univers de personnages secondaires originaux, dont l’humour salvateur vient adoucir le ton du récit.
L’enveloppe est aussi prestigieuse que son contenant. Brigitte Poupart signe une mise en scène qui demande au public une attention de tous les instants, mais qui les récompense épisodiquement dans cet enchevêtrement de temporalités, de détails et rappels.
La scénographie de Cédric Delorme-Bouchard est époustouflante. Mais la pièce maîtresse est ici, sans doute, le design audiovisuel de Ryoichi Kurokawa, artiste multimédia japonais qui souligne l’aliénation des protagonistes avec des projections monstrueuses où des immeubles et des forêts entières sont avalés par la terre, les matériaux disparaissant dans d’impitoyables trous noirs, métaphore peu subtile – mais fort efficace – de la dépression.
La techno tonitruante et quasi industrielle des transitions fait parfois sursauter, mais nous offre une immersion quasi totale dans l’état d’esprit des personnages.
On a rarement vu une production qui nous plonge aussi habilement dans les méandres insidieux de la maladie mentale, tout en humanisant aussi profondément ses personnages.
Et on a bien envie de décréter qu’il s’agit là d’un tour de force.
La pièce «Anatomie d’un suicide» en images
Par Charles-Olivier Royer
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de la rédaction