SortiesDanse
Crédit photo : Sacha Onyshchenko
Les forces qui nous habitent
Interrogé au sujet des thématiques de Vraiment doucement, Victor établi un lien direct avec son nouveau rôle de père: «Être père a changé ma façon d’être, d’interagir avec les danseurs. Comme père, j’ai commencé à réfléchir à des thèmes plus larges. Je réfléchis moins à propos de moi, de ma vie, mais plutôt «au macro», au monde dans lequel mon enfant va grandir. Toutes mes pièces traitent des relations. Je touche les douleurs individuelles en lien à nos objectifs, à notre incapacité à connecter avec ceux qu’on aime. Dans cette pièce, je voulais toucher la douleur mondiale. Je voulais parler de la mort… Mais jusqu’à une certaine limite: je ne voulais pas que les spectateurs aient envie de se tuer après le spectacle!»
Dix danseurs. Cinq femmes et cinq hommes. Dix corps qui explorent les forces de gravité, entre déséquilibre et suspension, à travers portées et torsions. Un travail au sol alliant break dance et technique contemporaine. Une synchronisation précise, parfois en duos, en trios, en quatuors… Puis, l’exploration de l’espace «entre nous».
Une foule de thématiques que le public, en perpétuel questionnement, se risque à deviner sur la peau, les muscles, les traits, ou dans les yeux qui transpercent la salle: le combat, de l’un contre l’autre ou contre soi-même, l’isolement, l’exclusion, l’enfermement, la nudité, l’aveuglement, la maladie mentale… La dualité entre la communauté et l’individualité, une thématique chère au chorégraphe qui se dessine au fil des tableaux.
Des éclairages qui basculent de teintes chaudes, comme le rouge ou le brun, à des blancs aveuglants puis apaisants. D’un morceau à l’autre, la musique impose une ambiance nouvelle, à laquelle se soumettent les danseurs et les spectateurs, quitte à être envahis d’un mal-être qui dure… longtemps… trop longtemps… jusqu’à la limite du supportable.
Les gémissements et les cris emplissent l’air, grimpent jusqu’au plafond. Le danseur vit sa souffrance. Certains spectateurs rient timidement leur malaise. Les autres souffrent en silence. Lorsque, enfin, on fait appel aux seules solutions possibles, tous sont libérés. Dans la compassion, l’humanité, l’aide, le partage, la communauté.
«Les premières pièces que j’ai faites, les thématiques étaient venues de mes guts et pas beaucoup du mental. Après un détour de quelques années à travers le mental, j’ai renoué avec mes guts feelings. Avec cette pièce, j’ai pleuré en studio! La fois précédente que ça m’était arrivé, c’était il y a… 30 ans?» -Victor Quijada
Trash it
Dans cette pièce d’environ soixante-quinze minutes sans entractes, divers styles se fusionnent: le ballet, la danse contemporaine, le hip-hop, le break dance, les danses urbaines, le théâtre, l’improvisation… Vraiment doucement est l’aboutissement de quinze ans d’exploration. C’est aussi un nouveau début.
La création a été initiée tantôt par la danse, tantôt par la musique: 50/50. Par exemple, lorsque les musiciens sont arrivés avec une pièce de rock frôlant le métal, Victor a été pris de court, mais il a composé avec: «C’était la première fois que je créais sur une musique semblable».
Pour cette production, le chorégraphe s’est contraint à respecter certains paramètres. Il devait identifier cinq éléments qu’il utilise inévitablement en composition chorégraphique lorsqu’il veut «être safe»: «OK. Enlève ça de ton vocabulaire». Se réinventer n’a pas été une tâche facile: «Durant les premières semaines de création, nous avons accumulé les rejets, les «trash it». Les compositions ressemblaient trop aux pièces précédentes.»
Malgré les nombreuses déceptions et les heures de découragement, le chorégraphe, soutenu par ses danseurs qui participaient activement au processus de création, se motivait à retourner le lendemain en studio et à faire mieux. Comment trouvaient-ils le courage de continuer? «I think it is just about trusting in the choreographer», répond Paco Ziel, l’un des danseurs qui accompagnent le chorégraphe depuis quelques années déjà. Tous soutenaient Victor. Tous croyaient en lui.
La compagnie Groupe RUBBERBANDance, fondée par Victor Quijada en 2002, a débuté avec l’idée se présenter au public des rues et des clubs. Or le talent du chorégraphe et de ses danseurs leur a valu une place méritée parmi les grands. «C’est vraiment quelque chose ce soir, a confié Victor. Nous nous sommes tous réveillés avec des papillons au ventre, en pensant: Ce soir, c’est Maisonneuve!»
Et ce ne sera certainement pas la dernière!
L'événement en photos
Par Sacha Onyshchenko et Marie-Noële Pilon
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de la rédaction