Rosie Valland et Safia Nolin en programme double au Cabaret Lion d’Or

Rosie Valland, l’incarnée

C’est Rosie Valland qui a ouvert le bal, en jouant l’intégralité de Partir avant, son tout premier disque complet, qui ne compte que neuf chansons. C’est toutefois dans des sonorités plus rock et plus chargées que les chansons se sont fait entendre, l’auteure-compositrice-interprète livrant son matériel sur scène accompagnée de Jesse Mac Cormack à la guitare électrique et aux synthétiseurs, de Jean-Philippe Levac à la batterie, et d’un bassiste.

Dès «Oublier», on la sentait complètement incarnée: son interprétation était sincère et les synthétiseurs planants conféraient une intensité particulière au morceau. Rosie était là, toute là, et ses performances sont toujours très senties. On l’a constaté lors de «Rebound», durant laquelle elle s’est laissée aller et s’est mise à bouger un peu, mais surtout pendant «Partir avant», où elle est apparue presque en transe durant l’introduction instrumentale, les bras dans les airs. D’une simple beauté, même si sa livraison s’est fait sentir moins torturée que sur disque et qu’on a moins mis l’accent sur le grain de voix si particulier de la chanteuse.

C’est pendant «Noyer», l’une des plus appréciées du public, que les musiciens ont vraiment laissé toute la place à la chanteuse, qui avait troqué sa guitare pour une basse, et qui a livré une interprétation délicate durant laquelle on a été plus à même de constater autant la beauté de sa plume que de sa voix.

Car l’ensemble des performances a révélé une belle intensité, autant lors de moments sensibles que lors d’envolées instrumentales délirantes, comme la sublime finale enlevante de «Nucléaire», appuyée par des éclairages dynamiques, ou encore le superbe solo de guitare de Jesse Mac Cormack pour clore «Finalement» et le spectacle. Mais au final, l’habillage musical peut-être trop important semble avoir nui aux compositions de Rosie Valland, dont la voix et les paroles étaient souvent perdues, notamment pendant «St-Denis».

Il est aussi dommage de constater que le côté tourmenté et sombre des pièces touchantes du si beau Partir avant a été quelque peu perdu dans leur adaptation plus rock, mais malgré tout, et malgré qu’elle n’ait presque pas adressé la parole aux nombreux spectateurs présents, ce qui importe après tout, c’est le bonheur d’être sur scène, à faire ce qu’elle souhaite le plus faire : jouer de la musique. Et les gens présents mardi soir ont pu saisir le sous-texte et le besoin viscéral de Rosie Valland de s’exprimer par la musique, ce qu’elle fait de façon saisissante autant sur disque que sur scène.

Safia Nolin, l’authentique et colorée

Le décor était sublime: des grands pans de lumières de Noël suspendus du plafond de la scène jusqu’au plancher, créant des arches autour des musiciens et une ambiance intime. Puis, devant la foule immense, Safia Nolin a laissé tomber un «Sacrament!» bien senti. Les habitués ont bien sûr ri; les gens en mode découverte ont tout de suite saisi qu’ils allaient assister à un concert bien particulier. On allait encore avoir droit au seul et unique charme de l’authentique et colorée Safia.

Dans une rare formule duo (du moins à Montréal) avec Joseph Marchand à la guitare électrique, l’artiste a été en mesure d’offrir des versions très dépouillées de ses chansons, ce qui se rapproche davantage du son présenté sur disque, contrairement à ses prestations en full band. Et pour plonger encore plus dans l’intimité de ses magnifiques balades guitare-voix, Safia Nolin a même opté pour quelques chansons en solo, troquant son acoustique pour une électrique, dont elle joue peu souvent.

Cette partie sans Joseph Marchand a permis de mettre l’accent davantage encore sur le talent de musicienne de Safia et sur la beauté de son univers, mais aussi sur sa timidité. Après «Aujourd’hui, demain», un petit rire nerveux s’est faufilé après avoir fini de chanter, comme pour dire «C’était juste ça». Et lorsqu’elle a décidé de nous jouer une nouvelle composition, malgré que son magnifique Limoilou soit paru en septembre seulement et que toutes ses chansons soient relativement récentes, elle s’en est presque excusée. Mais elle n’a rien à se faire pardonner, tout était désarmant de beauté, et le public a grandement apprécié.

Néanmoins, il était plaisant de constater, de façon générale durant la soirée, l’assurance nouvelle avec laquelle l’auteure-compositrice-interprète se montrait sur scène. Elle se sera même adonnée à quelques performances sans guitare pour se cacher, ce qui lui a permis de se laisser aller un peu plus à l’interprétation, mais ne sachant pas encore tout à fait quoi faire de ses bras pendant la sublime «Si seulement». Ça aussi, on lui pardonne, car on est heureux de la voir s’épanouir tranquillement sur scène.

Voir Safia Nolin en spectacle n’est jamais banal; d’abord parce que ses interprétations senties nous touchent droit au cœur – «Ce matin» et la touchante «Chanson de Noël» en ont été de bons exemples mardi -, mais aussi parce que l’artiste est l’incarnation même de l’authenticité. Parlant des eaux usées («Buvez pas l’eau du fleuve dans les prochains jours»), arrêtant une chanson après quelques mesures seulement en s’exclamant «Fuck, j’m’excuse, le signe ‘’toilettes’’ m’a déconcentrée!», et lisant ses remerciements écrits dans sa paume de main, elle a déclenché de nombreux rires tout au long de la soirée, mais en a par la même occasion charmés plusieurs, qui en auraient pris encore et encore à la fin de cette soirée.