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Crédit photo : Pierre-Louis Dagenais Savard, Québec Danse
Mais parlons-en, de ce milieu: ne devrait-il pas déjà s’ouvrir aux finissants de sa seule école reconnue? Transparence oblige, j’ai gravi l’escalier menant aux studios avec appréhension, me questionnant sur cet univers que j’avais toujours senti replié sur lui-même, terreau du narcissisme et de l’auto-thérapie. La danse contemporaine s’efforce-t-elle vraiment à s’aliéner ou souffre-t-elle simplement d’une bête incompréhension?
J’ai franchi les portes du local et, tout de suite, j’ai eu ma réponse: devant moi s’acharnait non pas six danseurs avides d’attention, mais bien un seul corps, uni par la discipline et animé d’une vision commune. C’était la première fois que j’observais une pareille synergie au sein d’un groupe, et la surprise m’a ravi sur-le-champ. Mieux encore, un des danseurs semblait aussi déstabilisé que moi par cette forte cohésion, ce qui me confirmait la fraîcheur d’une telle dynamique.
Cette chimère à six têtes est formée des jeunes Catherine Dagenais-Savard (diplômée 2015), Camille Gachot (2015), Jean-Benoit Labrècque (2014), Alexandre Morin (2013), Justine Parisien-Dumais (2015) et Sovann Rochon-Prom Tep (2015), chorégraphié par le tout aussi vert Jason Martin (2012).
Danseur, comédien et maintenant chorégraphe, Jason n’a pas mis de temps à s’établir par sa rigueur au travail et sa gestuelle acérée. On y perçoit souvent une bonne dose d’agressivité presqu’animale, bien que canalisée en mouvements d’une grande précision, tous très élégants. C’est évolutif, humain et, ma foi, moins théâtral qu’on ne le croirait. Jason danse présentement pour cinq compagnies, dont les renommées Compagnie Marie Chouinard et Daniel Léveillé Danse, en plus d’avoir conçu la pièce Raw l’an dernier, une première création chez Danses Buissonnières dans laquelle il a aussi dansé.
La répétition a pris fin à 8 h et Jason a accepté de me suivre pour un court entretien:
L’ÉDCM a fondé le Projet Fly et le subventionne. Est-ce que l’école s’implique également dans la création de la pièce et les directions à prendre?
«L’école m’a assisté durant le processus d’audition, mais c’est bien moi qui choisissais. Sinon, il y a aussi Hélène Leclair, de l’administration, qui nous offre ses services de répétitrice. Elle me conseille, amène son expertise et me remplace quand je m’absente. C’est réellement notre création à nous sept, mais le projet Fly n’existerait pas sans l’ÉDCM»
Sur combien de temps s’échelonne le laboratoire?
«Le laboratoire dure seulement 8 semaines et, les premières années, ça s’arrêtait là parce que l’école faisait appel à des chorégraphes établis qui retournaient ensuite à leurs autres projets. C’est pour ça que l’ÉDCM mise maintenant sur des chorégraphes de la relève. Ils misent sur nous pour prendre cette œuvre-là et la poursuivre. C’est ma responsabilité de l’amener devant les diffuseurs pour partir en représentation.»
Et avez-vous déjà obtenues des dates de représentation devant public ?
«Pour l’instant, il y aura un spectacle informel le 2 septembre. On va y présenter une pièce de 35 minutes. Si le projet continue ailleurs, c’est sûr que la pièce sera portée à changer, à se développer. L’idée est d’en faire une solide première partie pour des programmations doubles qui sont très courantes.»
Face à un mandat comme Projet Fly, arrives-tu avec une bonne idée de ce que tu veux chorégraphier, ou tu crées au fur et à mesure avec tes danseurs ?
«Je dirais que j’ai mon répertoire à moi, une marque à laquelle les danseurs vont adhérer. D’ailleurs, présenter un segment de ma pièce Raw faisait partie de leur processus d’audition. Évidemment, chaque danseur apporte sa personnalité, mais j’aime beaucoup l’unicité sur scène. Ce que je vais souvent faire, c’est donner des consignes plus larges au départ, puis resserrer graduellement.»
Oui, la gestuelle de tout à l’heure était très serrée! D’où te vient l’inspiration?
«Pour moi, tout part du corps; tout part d’un mouvement ou d’un autre que j’ai observé ici ou là. J’ai besoin que ce soit vrai, il faut qu’on sente une authenticité pour que l’émotion circule et qu’un spectateur soit touché. J’appelle ça de la danse piétonne, c’est des mouvements qu’on peut retrouver dans la rue. Les grandes envolées théâtrales, c’est bien, mais j’ai d’abord besoin de concret.»
Alors pour toi, c’est important la relation que tu développes avec ton public?
«Ben oui, c’est sûr! La danse, le corps, c’est un moyen de communication. Mais c’est pas un langage que Monsieur ou Madame Tout-le-Monde comprend non plus. S’ils se déplacent pour venir nous voir, c’est la moindre des choses de les rejoindre à mi-chemin. Quand un étranger nous demande des indications dans une langue étrangère, on va pas lui sortir nos mots à 100 $! D’un autre côté, si les gens viennent nous voir, c’est parce qu’ils veulent en tirer quelque chose aussi. Faut jamais prendre son public pour un con.»
Content de l’entendre! C’est le genre d’approche qui pourrait faire tomber des préjuger sur la danse contemporaine. Tu sais de quoi je parle ou…?
«Oui, personne aime l’art trop masturbatoire.»
J’osais pas le dire.
«C’est pour ça que je valorise autant l’esprit d’équipe. Tu peux avoir un groupe de deux ou quatre ou six danseurs, tout le monde doit travailler dans la même direction. J’ai joué longtemps au hockey, tu sais, et tu peux pas gagner sans plan de match. Il faut qu’ensemble on devienne un tout. Un coach de hockey va donner plus de liberté à un joueur quand il connaît bien son rôle et le remplit. C’est ce que j’aimerais amener à la danse.»
Finalement, j’ai beaucoup apprécié ton utilisation de la musique tout à l‘heure. C’est fréquent, en danse contemporaine, de conter les pas comme vous le faites?
«Oui et non. Je suis pas à cheval sur la musique non plus, on compte nos pas pour nous-mêmes. Ça nous aide au moment de la création, avant-même qu’on en ajoute. Je préfère créer dans le silence, mais quand t’ajoutes de la musique, tu ne peux pas l’ignorer non plus. Comme les danseurs, elle les éclaires et les décors font partie de la pièce. Tout doit se répondre et se compléter. Alors, on trouve la bonne musique et on s’ajuste un peu. Des fois, on vient par s’en éloigner, puis on y retourne. Il faut que ça vive, tu sais?»