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Crédit photo : Amen Lahcen
L’héritage culturel du Maroc
Depuis un peu plus de vingt ans, Ismaël Mouaraki est directeur artistique de la compagnie Destins croisés. Son travail de chorégraphe est riche d’influences, puisqu’il est à la fois imprégné par les danses du Maroc, le hip-hop, mais aussi la danse contemporaine et les danses de rue. «Après plus de 25 ans de création en tant que chorégraphe – mais aussi d’immigration –, j’ai vraiment senti le besoin de reconnecter avec ma culture marocaine et de revenir aux fondamentaux en m’interrogeant sur ce qu’était pour moi la danse.»
Inspiré par les cérémonies de Lila – ces célébrations typiques du Maroc qui démarrent au coucher et finissent au lever du soleil –, il a revisité «la valeur spirituelle de la danse à travers la fête.» Car, pendant cet événement nocturne, il y a «une phase où on entre tous dans une dynamique communautaire, sociale et artistique», précise le créateur. «On danse, on chante et on vit la musique à travers le corps: les vibrations musicales nous emmènent dans des états de transcendance et de transe à différentes étapes de la cérémonie pour que l’on cherche à connecter avec son intérieur profond – la spiritualité.»
«Ça nous apporte du bien-être, du relâchement et un sentiment de guérison. On a l’impression d’être libérés, on se sent connectés dans des zones du cerveau où on n’a pas l’habitude de l’être.» – Ismaël Mouaraki, chorégraphe et directeur artistique de Destins croisés
Transcender la beauté du corps masculin
Pour mener à bien son projet, il a collaboré dans un premier temps avec des danseurs québécois et canadiens. Comme il l’explique lui-même, «[il] n’[a] travaillé qu’avec des hommes pour explorer une autre facette de [sa] culture, qui est l’apport du corps masculin d’abord, mais aussi la sensibilité et la sensualité du corps masculin dans le toucher.» Parce que, selon lui, ce sens est très important dans la culture marocaine: l’amitié elle-même se traduit à travers le toucher.
«C’est sous cet angle-là que j’ai voulu commencer avec les danseurs d’ici: redéfinir le corps occidental où on se crée une boîte et l’espace de vie entre nous est très distancé», commente-t-il. «J’ai dilué cette notion d’espace de vie entre nous – et donc ce contact, la sensibilité et la sensualité d’être entre hommes», dit-il avant d’ajouter: «Se toucher, se regarder, se sentir, partager les respirations est une approche totalement différente, et ça a amené de nouveaux paramètres aux danseurs avec qui j’ai commencé.»
Une expérience de création unique
«Ce que j’ai eu envie d’offrir au public, c’est que les spectateurs du Québec vivent de leur siège un voyage physique dans une autre culture, mais aussi qu’ils sentent que cette autre culture – qui est celle du Maroc – fait partie du Québec. J’ai voulu qu’ils comprennent que, peu importe où on se trouve, on vit des expériences extraordinaires à travers le corps!»
Chose certaine, cette création comptait énormément aux yeux d’Ismaël Mouaraki. Aux artistes et à l’équipe dont il souhaitait s’entourer, le chorégraphe disait que «s’ils acceptaient de prendre part au projet, il fallait qu’ils sachent que c’était quelque chose de très intime pour [lui] et que c’était basé sur une valeur de partage. En de simples mots, ce n’était pas juste un “contrat de travail”, c’était vraiment d’accueillir une culture et de soi-même se laisser accueillir.»
Et des expériences, ils en auront vécu ensemble: après avoir mis en œuvre le projet au Québec, tous sont partis au Maroc pour aller choisir et intégrer des danseurs de là-bas au reste de l’équipe. Ils se sont ainsi rendus au Domaine de Maoka, chez un artiste visuel nommé Amine: «Il a une grande terre agricole où il a bâti un lieu selon sa propre vision de son énergie artistique. Il a fait un jardin suspendu avec un flux d’énergie, et nous, on est arrivés là», se remémore notre interlocuteur. «On a senti marocain, on a mangé marocain, on a dansé dans un environnement marocain avec des poules, des champs et c’était une belle conclusion pour moi, car enfin, je faisais se rencontrer des danseurs marocains et québécois.»
Si cette étape était aussi essentielle, c’est parce que, selon lui, c’était «une couche plus profonde du processus de création» qui permettait aux artistes de ne pas «s’imaginer un ailleurs qu’ils allaient recréer dans un studio, mais bien d’immerger leurs corps et leurs esprits dans la culture dont je leur parlais, et ce, des deux bords», ce qui leur a permis de toucher à un véritable partage culturel et artistique.
«Et j’aime bien dire que c’est une appropriation assumée dont je suis l’initiateur», termine-t-il. «On ne parle pas juste d’une carte postale; on vit vraiment un Maroc et un Québec, et c’est là qu’une fusion se crée.»
Pour acheter vos billets pour Le sacre de Lila d’Ismaël Mouaraki, présenté du 23 au 26 novembre 2022 à l’Édifice Wilder, cliquez ici.
*Cet article a été produit en collaboration avec l’Agora de la danse.
«Le sacre de Lila» en images
Par Amen Lahcen