SortiesExpositions
Crédit photo : Lisa Ricciotti
On connaît des tableaux tels que Guernica, les pieds à la place du nez (façon de parler), des brouillons dignes de la main d’un enfant… Qu’on adore Pablo Picasso ou qu’on le réduise à des choix faciles, il demeure que son oeuvre est d’une certaine façon à la portée de n’importe qui. En raison de la grande diversité de ses réalisations, chaque sensibilité peut être éveillée et stimulée selon le médium, le style, le sujet, la palette de couleurs ou autre. Les concepteurs de l’exposition souhaitaient donner un vaste aperçu de l’oeuvre de l’artiste espagnol, de quoi élargir peut-être cette surface sensible qui nous appartient intimement.
L’intelligence derrière le trait
L’exposition se déroule en deux parties. D’abord la théorie, puis la pratique, si on veut. Avant d’accéder à l’expérience immersive, il va de soi d’acquérir certaines clefs de lecture et de compréhension. Ainsi, grâce à la présentation de la démarche des concepteurs et de la trame biographique de Picasso, la traversée de l’oeuvre se fait de manière plus éclairée. On est alors plus à même de détecter les thèmes et les sujets de prédilection de l’artiste espagnol.
Les périodes et les courants qui caractérisent Picasso sont explicités de sorte que l’on appréhende avec une certaine logique son cheminement artistique. Ceci rend l’exposition accessible à toutes et à tous, en plus de permettre une plus grande liberté de regard et d’imprégnation dans la seconde partie.
Ce que l’on cerne mieux, grâce à ce lot d’informations servi en guise d’introduction, c’est l’intellectualité de la démarche de Picasso. Lui qui disait avoir passé sa vie à apprendre à dessiner comme un enfant, chaque trait pouvait refléter autant de simplicité que faire montre d’un tracé jamais aléatoire, paramétré par un œil aiguisé et entraîné.
Pablo Picasso nous apparaît donc comme un être foncièrement rationnel qui aura frôlé le surréalisme sans totalement y adhérer, capable de résoudre des équations poétiques avec audace et philosophie. De plus, ses expérimentations entre déconstruction et réalisme sont dignes d’un grand scientifique qui aura cherché et provoqué le progrès avec acharnement.
Image Totale
Le concept d’Image Totale a été élaboré par Albert Plécy et a trouvé son berceau de naissance en 1977 dans les carrières de pierre des Grands-Fonds, dans le département des Bouches-du-Rhône dans le sud de la France. Initialement nommé Cathédrale d’Images, le site est depuis 2012 rattaché au titre de Carrières de Lumières.
Petite fille de Plécy par alliance, Annabelle Mauger aura consacré de nombreux projets à diffuser cette révolution artistique à travers villes et pays. Avec son partenaire depuis plusieurs années, Julien Baron, ils auront ensemble élaboré plusieurs expositions basées sur l’Image Totale.
Pour développer Imagine Picasso, ils se sont associés à l’architecte Rudy Ricciotti, notamment connu pour ses réalisations en lien avec le monde des arts telles que le Mucem (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), le musée Jean Cocteau ou encore le Pavillon Noir, une salle de spectacles dédiée à la danse et au théâtre. L’équipe se complète par la commissaire de l’exposition Androula Michael, experte de Picasso.
Faire appel au multisensoriel pour complexifier une expérience
Il est difficile d’affirmer que l’effet d’immersion parvient à tout le monde, mais il semble décuplé lorsqu’une même toile occupe tout l’espace dans ses moindres découpes et qu’elle recouvre également les structures centrales en forme d’origamis.
Par ailleurs, il n’y a pas de direction donnée sinon notre propre intuition d’adopter tels ou tels angles et point de vue selon ce qui est projeté dans l’environnement. Les assemblages de plusieurs oeuvres permettent de mettre en perspective des mêmes thèmes et sujets en fonction de deux ou trois styles et d’observer ainsi plus en détail la progression plurielle du travail de l’artiste.
Les concepteurs ont jugé pertinent d’agrémenter l’exposition d’une trame sonore afin de stimuler davantage et d’ajouter à la sensation d’immersion. Cependant, même si les choix musicaux se justifient par leur cohérence avec la variabilité de l’œuvre et ses recoupements, l’ensemble est définitivement trop court. L’immersion est interrompue par une boucle musicale qui se remarque et qui finit par nous faire décrocher de ce qui se veut vaste, exubérant et sensuel chez Picasso.
S’adapter à une pandémie
L’espace a été modelé en vue de créer un circuit où l’on peut déambuler librement. On décèle bien la progression du parcours, toutefois il y a certainement un manque de considération par rapport aux contraintes sanitaires imposées par la pandémie.
L’exposition s’ouvre sur des panneaux riches en information (mentionnés plus haut), et même si nous sommes autorisé.e.s à entrer par petits groupes seulement, le temps n’est pas suffisant et les visiteurs finissent malgré eux par s’agglomérer. La distanciation est difficile à respecter, la concentration de lecture est forcément gênée et certain.e.s finissent par passer à l’étape suivante en ayant peut-être raté un élément pertinent.
À cet effet, il vaut mieux savoir en partant que la suite reprend différents faits mentionnés préalablement et qu’à coup d’illustrations agencées aux propos, autant ne pas trop s’attarder au condensé du début qui réunit trop d’informations pour un si petit espace.
Le recoin qui précède la seconde partie donne à voir une mosaïque des tableaux projetés. Déjà, on joue ici avec les hauteurs puisque certaines images dépassent le niveau des yeux. Malheureusement, il est impossible de toutes les voir correctement en raison d’un éclairage qui, combiné au revêtement des murs, produit des reflets lumineux et nécessite de se déplacer.
Trop nombreux malgré le contexte de grandeur
L’expérience d’immersion se veut totale, magistrale, renversante. Cependant, bien des éléments sont à prendre en compte tels que la durée, l’éclairage, l’organisation spatiale, l’environnement sonore et la présence de l’autre. Dans un parcours libre comme celui qui nous est proposé, on ne peut faire abstraction des multiples présences. Elles comptent autant que les nombreuses figures peuplant le monde de Picasso et il faut être en mesure de les intégrer à notre surface sensible.
Or, le temps et l’espace sont trop délimités, ce qui contrarie l’esprit même du projet Imagine Picasso. Pour pénétrer ainsi dans la tête d’un artiste et l’esthétique de son oeuvre, il aurait été de mise de procurer aux visiteurs une meilleure intimité qu’une simple obscurité à la grandeur de l’exposition.
L’exposition Imagine Picasso est présentée au Centre des congrès de Québec jusqu’au 6 septembre 2021.
«Imagine Picasso» au Centre des congrès de Québec
Par Lisa Ricciotti
L'avis
de la rédaction