«Falling Angels» au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts

Falling Angels est une présentation atypique pour les habitués, combinant trois pièces; deux de son ami Jiří Kylián, et une de Stephan Thoss, un collaborateur de longue date. Kylián a présenté les deux premiers morceaux, l’un à la suite de l’autre, avec une courte pause, sans que le rideau ne tombe entre les deux. L’idée était d’offrir une continuation, qu’il n’y ait pas de rupture, afin de montrer la juxtaposition entre les deux œuvres.

La première, Evening Songs, est un ballet classique particulièrement romantique. Un décor ultra-minimaliste (une scène et un fond noir) accueille trois danseuses vêtues d’une robe blanche ample, et trois danseurs sont habillés d’un pantalon noir et d’une chemise blanche. Ensemble, ils explorent le crépuscule, ils prennent conscience du monde qui les entoure, ce qui leur procure le sentiment d’exister. Ce magnifique ballet classique est très délicat, poétique et enchanteur. Le spectateur se laisse facilement emporter dans cet univers, tandis que l’excellente chorale interprète a cappella les chants éponymes du compositeur tchèque Antonín Dvořák.

S’ensuit Falling Angels, qui est diamétralement à l’opposé d’Evening Songs. Les choristes sont remplacés par quatre percussionnistes qui interprètent la musique de Steve Reich. Celle-ci est instrumentale à la chorégraphie de Kylián: elle donne un rythme soutenu et quasi tribal, elle permet aux danseurs de tester leurs limites, de déterminer où se trace la ligne entre la discipline du ballet et la liberté d’expression, entre l’appartenance au groupe et l’indépendance d’esprit.

L’accent est mis sur les mouvements des danseurs, vêtus d’un maillot noir, lesquels sont forts et vigoureux. Les danseurs étaient très expressifs, et la chorégraphie oscillait entre des pas très contrôlés et mécaniques, tels ceux d’une marionnette, et d’autres plus libres, dont il se dégageait une énergie plus brute, voire animale. Cette pièce a provoqué une très grande réaction de la part de l’auditoire, qui a applaudi à tout rompre, a crié et a même fait une ovation.

La troisième et dernière de la soirée fut Searching for Home de Stephan Thoss. Ce ballet contemporain est d’une très grande beauté, complexe et mystérieuse à la fois. Thoss affectionne l’expressionnisme, et cette pièce n’y échappe pas. Un décor sombre et industriel sert de lieu d’exploration pour les ballerines et les ballerins qui cherchent désespérément à comprendre les différentes facettes de leur personnalité.

C’est un voyage dans un monde absurde qui nous donne l’impression de rêver; la chorégraphie est sublime et captivante. Certains personnages sont des variations de ceux apparus plus tôt, tandis que d’autres ont un caractère unique, tels les danseurs complètement blancs (costumes et maquillage). Dans cette logique, les limites disparaissent, laissant la place à l’imaginaire et au subconscient. Des danseurs portant la même robe que leurs comparses féminines en sont un bon exemple. La musique de Philip Glass, très dramatiques avec ses instruments à cordes, forme un tout avec ce ballet.

Bien que les thématiques furent quelque peu similaires, il y a tout de même un décalage entre les morceaux choisis par Gradimir Pankov. Ce dernier visait deux objectifs avec cette soirée, rendre hommage à son ami, dont il admire le talent, Jiří Kylián, qui célèbre ses 70 ans, et permettre au public de revoir Searching for Home, qui avait été présenté en 2011. Il souhaitait ainsi démontrer la force de la simplicité des pièces de Kylián, qui, depuis de nombreuses années, privilégie un retour à ses racines tchèques, ce qui est «un coup de génie», selon Pankov.

Mettre en scène pour une deuxième fois Searching For Home avait pour but de montrer l’évolution de ce ballet qui est difficile à comprendre. Par ailleurs, Stephan Thoss croit qu’il aura la chance de travailler à nouveau avec les Grands Ballets, expliquant qu’il collabore depuis ses débuts en tant que chorégraphe avec le nouveau directeur artistique, Ivan Cavallari, qui, à l’époque, entamait également sa carrière en tant que danseur.

En ce qui a trait à M. Gradimir Pankov, il estime que ses dix-huit années passées auprès des Grands Ballets furent parmi les meilleures de sa vie, et il compte rester présent auprès de la compagnie, tout en profitant de sa retraite pour ses projets personnels. Il peut partir avec le sentiment du devoir accompli; il a réalisé de grands exploits, dont l’introduction du ballet aux nouvelles générations.

À la fin de la présentation, la compagnie a célébré sa contribution par le biais d’un discours et d’une vidéo, et le public lui a offert une longue ovation. Tous ont été conviés pour un verre d’amitié afin de conclure cette soirée remplie d’émotions.