SortiesDanse
Crédit photo : Gracieuseté Théâtre La Chapelle
Alors que le public s’entasse dans l’étroit sas d’entrée du théâtre, une créature géante, jambes poilues, longs cheveux gris et manteau de fourrure, surgit d’une porte discrète et nous annonce la couleur: «happening, happening, happening». Tel un berger qui conduit ses moutons, l’énergumène se fraie un passage dans la foule qui le suit docilement jusque dans la salle. «Happening, happening, happening». C’est en train d’arriver.
Il se tient debout face à nous, perché sur des plateformes japonaises démesurées, à la fois ridicule et absolument théâtral, seul face au vide dramaturgique qu’il a lui-même souhaité. Accompagné par Francis Rossignol aux platines et Karine Gauthier aux éclairages, Peter James se met au défi de créer en notre présence une heure de show totalement improvisé. S’il a pris soin de répartir sur le plateau une multitude d’objets improbables dans un chaos scénique savamment étudié, son outil principal est définitivement son corps et tout ce qu’il nous raconte.
Il y a dans l’acte de performance une névrose infantile qui crie «Regardez-moi! Regardez-moi!» et qui s’agite désespérément devant nos yeux pour attirer notre attention si précieuse. Et Peter James n’échappe pas à la règle. Il se nourrit de nos regards: «Can you see me?» Confronté au néant, il n’est cependant pas le premier à nous proposer de nous ennuyer tandis que dos à nous, immobile, il laisse l’inspiration monter en lui. Il n’est pas non plus le premier à se mettre nu comme un vers sur scène. Mais encore?
Peut-être faut-il voir dans ce happening, dans ce phénomène qui se produit sous nos yeux et relève du pur n’importe quoi, une simple invitation au lâcher-prise? Le chant du singe n’existe pas, tout comme la signification dramatique de cette proposition. Ne cherchez pas d’histoire, ne cherchez pas de sens, racontez-vous ce que vous voulez. Et ne laissez surtout pas de grandes bouches intellectuelles vous dicter quoi en penser. Ce qui est intéressant, c’est ce que ça nous fait.
Dans la démarche de l’artiste s’insinue une forme de plaisir égoïste qui nous laisse parfois seuls face à cette bulle créatrice quasi autistique qui se forme autour de lui. Si notre première réaction est de ressentir un abandon et même une certaine injustice face à ce plaisir qu’il garde pour lui, la distance créée nous oblige à nous écouter. La performance devient alors une injonction à réfléchir, à aiguiser notre regard, à définir ce qui nous touche, ce qui nous émeut, et ce qui nous repousse. Et une chose est certaine: Peter, nous n’aimons pas respirer la poussière de charbon que tu nous envoies en pleine face.
Il est finalement dommage qu’une telle invitation à l’expérience personnelle soit gâchée par une agressivité latente, comme inhérente à ce type de proposition. Le spectateur qui se joint à un happening postmoderne accepte certes d’être secoué et dérangé dans son confort, mais il ne demande pas à être brutalisé. Les cris stridents dans le micro et l’hystérie grimpante n’étaient pas nécessaires au surgissement d’un espace de création authentique entre Peter James et son public.
Un peu de douceur dans ce monde de brutes, que diable!
L'avis
de la rédaction