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Crédit photo : Opéra Paris / Crystal Pite - Body and Soul © Julien Benhamou
Suite au succès de l’œuvre The Seasons’ Canon (2016), une première collaboration de Crystal Pite avec l’Opéra de Paris, et après être tombée sur d’autres créations de la chorégraphe telle que The Statement de la compagnie NDT, j’étais curieuse de découvrir cette fois Body and Soul, la plus récente œuvre de la prestigieuse chorégraphe.
Ainsi, bien installée dans mon salon, avec l’écran de mon ordinateur allumé, j’ai lancé la webdiffusion sur un court entretien avec Crystal Pite et son équipe, composée d’Owen Belton, compositeur de la trame sonore, Eric Beauchesne, assistant-chorégraphe, Nancy Bryant, costumière, Jay Gower, scénographe, Jermaine Spivey, assistant de la chorégraphie, et Tom Visser, concepteur lumières.
J’ai somme toute bien apprécié cette mise en bouche «pré-spectacle», grâce à laquelle j’ai pu en apprendre davantage sur le processus de création, sur la signification de l’œuvre ainsi que sur le travail colossal effectué en amont par l’équipe artistique. Ensemble, ils ont livré cet ambitieux projet décliné en trois parties. Cette introduction m’a aussi permis d’entendre Crystal Pite parler de son travail, et ses propos m’ont permis de mieux m’immiscer dans son univers à la fois artistique et philosophique.
«À la recherche d’une expérience directe, partagée et significative. Dans l’espoir d’une transformation et d’une connexion. Mon plus grand désir est […] de créer des conditions artistiques avec la lumière, pour encadrer ce que nous faisons, mais aussi pour guider le regard du spectateur». – Crystal Pite
Décortiquer un combat
Pour la première partie du spectacle, j’ai assisté, sur scène, à un combat entre une figure n° 1 et une figure n° 2 (deux danseurs vêtus en costume de ville), le tout dans un décor minimaliste et intime, où des effets de lumières guidaient mon regard vers les mouvements effectués par les deux figures. La forte gestuelle des danseurs s’agençait à la perfection avec la bande sonore, composée d’une narration et de phrases déconstruites, à savoir un flot de mots méconnaissables qui formaient en soi une musique rythmique intéressante.
Par la suite, on a offert à mon regard des numéros en groupe à travers lesquels j’ai pu admirer les magnifiques danseurs de l’Opéra de Paris bouger avec agilité et fluidité. Parfois, j’avais même l’impression d’être dans leur tête, car on pouvait entendre une voix qui guidait chacun de leurs mouvements: «Droite, gauche, droite. Droite, droite, gauche», et ainsi de suite. J’ai bien apprécié ce dialogue entre le corps et la voix narrative, qui m’a fait penser à celui qui s’opère en nous, à cette voix qui nous guide dans notre quotidien.
S’il y a bien une scène qui a attiré mon attention à la fin de la toute première partie, c’est celle où j’ai pu admirer une figure formée par les corps de tous les danseurs, qui m’a réellement donné l’impression de suivre le mouvement de houles qui se fracassent contre le sable. De fait, les trente-six danseurs bougeaient au rythme d’une bande sonore qui laissait entendre des voix d’êtres humains se transformant dans un son mélodieux s’apparentant à celui des vagues. C’était de toute beauté.
Puis, lors de la deuxième partie du spectacle, j’ai pu apprécier des pas de deux dansés sur la musique des préludes de Chopin. Le jeu de lumière laissait entrevoir les lignes et les corps musclés de chacun des danseurs, et on pouvait aussi mieux saisir leur complicité entre leurs interprétations et leurs mouvements.
J’ai ressenti, même à travers l’écran, une belle énergie de la part des différents interprètes.
Un monde fantastique
Mes yeux ont cligné plusieurs fois au courant de la troisième partie du spectacle, car il n’y avait ni contrastes de lumière ni danseurs vêtus de costumes minimalistes. Cette fois, ils étaient devant moi en costumes noirs scintillants, sans bras, ou plutôt avec de longs membres pointus qui semblaient coupants. J’ai ressenti cette drôle d’impression, un peu comme si on m’emmenait de force dans un univers aux allures de film de science-fiction.
Je dois l’avouer, autant j’ai été fascinée par le changement abrupt entre la deuxième et la troisième partie, ainsi que par l’originalité des costumes et l’ingéniosité de la chorégraphie, où on voyait les danseuses exécuter avec agilité des pas de bourrée et des petits battements frappés, autant je me suis sentie déracinée par le clivage entre la première et la deuxième partie du spectacle.
Est-ce que c’était un effet voulu? C’est possible. Or, bien que la facture brillait d’originalité, je n’ai toutefois pas trouvé judicieux un changement aussi abrupt à travers les parties. Aussi, un dernier aspect qui m’apparaît nébuleux, c’est l’apparition d’un personnage aux allures de singe qui n’était pas justifié, à mon sens, et d’ailleurs, je me suis longtemps questionné, après coup, sur sa pertinence dans la chorégraphie. Même si ces quelques aspects m’ont fait sortir de ma zone de confort, j’ai néanmoins pu saisir la beauté de l’inconnu.
Au final, Body and Soul, c’est la narration d’un combat, celle des êtres humains et celle qu’on expérimente avec notre propre corps. Chapeau à la chorégraphe Crystal Pite, à son équipe artistique et aux danseurs de l’Opéra de Paris, qui ont su nous transporter dans trois univers personnalisés où l’on pouvait découvrir à la fois l’intimité, la beauté du corps, le conflit et la connectivité entre les êtres humains.
C’est une œuvre à ne pas manquer, disponible en webdiffusion jusqu’au 23 février.
«Body and Soul» de Crystal Pite en images
Par Opéra Paris / Crystal Pite - Body and Soul © Julien Benhamou
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