Le Requiem d'Anna Akhmatova: un monument de la poésie russe – Bible urbaine

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Le Requiem d’Anna Akhmatova: un monument de la poésie russe

Le Requiem d’Anna Akhmatova: un monument de la poésie russe

L'infinie souffrance de la poétesse du peuple

Publié le 21 février 2018 par Elise Lagacé

Crédit photo : Tous droits réservés

Pour les russophiles et autres amoureux de la culture russe, le nom d’Anna Akhmatova n’est pas inconnu. Pour les autres, soit vous n’avez jamais entendu parler de la poétesse, soit son nom vous est devenu familier tout récemment grâce au Requiem de l’Eifman Ballet, présenté jusqu’au 25 février 2018 à la Place des Arts. En effet, c’est du Requiem d’Akhmatova que la première partie de l’œuvre néoclassique de l’Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg est inspirée. Une pièce puissante en appelle une autre, et voilà ce à quoi l’on peut s’attendre en s’asseyant dans la salle Wilfrid-Pelletier en cette fin de mois. Profitons-en pour nous attarder un peu sur le poème qui est ici couplé au Requiem inachevé de Mozart et qui, pour Boris Eifman, représente la souffrance infinie de l’homme face à la lumière et à la vie qui traverse le second.

Anna Akhmatova est considérée comme l’une des voix les plus importantes de la poésie russe et son Requiem se pose comme l’une de ses pierres angulaires.

Née à la fin du XXe siècle, elle s’éteindra à l’âge de 77 ans, au terme d’une vie teintée par le drame et la révolte. Une révolte aussi sociale qu’individuelle avec, d’un côté, celle des bolchéviques et des martyrs des goulags, et de l’autre, celle de la veuve doublement atteinte*, puis mère éplorée d’un fils emprisonné pendant vingt ans.

D’entrée de jeu, la carrière d’Akhmatova comme femme de lettres s’annonçait pourtant brillante. Mais celle qui aurait facilement pu quitter son pays dès l’arrivée de Lénine au pouvoir aura choisi de rester. Elle répond ainsi à un appel profond de solidariser son écrit et sa personne au sort du peuple russe, qui subira le chaos de la mise en place du régime communiste par Lénine, suivi de la folie idéologique et sanguinaire de Staline, le tout ponctué par les deux guerres.

Dans une œuvre littéraire spasmodique, continuellement interrompue par les interdits de publication et le fond de fascisme qui s’étend sur toute l’Europe, Requiem se présente comme une suite poétique poignante qui incarne la terreur emblématique de l’époque stalinienne; de ses suppliciés, de sa répression, de ses goulags et de cette purge idéologique nourrie par la délation.

Les poèmes auraient été rassemblés et publiés pour la première fois en 1963, et ce, sans le consentement de l’auteure, et auparavant appris par cœur pour être récités dans toute la Russie.

Aujourd’hui, Stalingrad est devenue Volgograd et Leningrad est redevenue Saint-Pétersbourg, mais les stigmates du totalitarisme sont toujours bien présents dans l’âme slave et dans celle de Boris Eifman. Le Requiem, ce chant d’Anna Akhmatova s’élève de nouveau grâce à lui, sur les notes de Chostakovitch et de son Quatuor à cordes no 8, suivi de ce que le chorégraphe considère comme un appel à la vie, le Requiem de Mozart, ironiquement interrompu par sa mort.

Ainsi, l’ironie se fait belle, et la boucle, se boucle, pour donner l’un des spectacles des Grands Ballets les plus attendus de l’année, l’une des créations les plus puissantes du ballet moderne.

*NDL: Son premier mari décèdera fusillé et son second époux mourra dans un goulag.

Requiem de l’Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg est présenté par Les Grands Ballets du 21 au 25 février 2018 à la Place des Arts.

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Extraits du poème Requiem d’Anna Akhmatova

Devant cette affliction s’inclinent les montagnes,
Et suspend son cours la rivière hautaine,
Mais solides sont les enceintes des bagnes,
Derrière ces murs, comme des terriers dans ces bagnes,
Où s’enterre une mortelle peine.

En ce temps-là, avaient le sourire facile
Les morts seuls, de leur tranquillité jouissant.
Et Leningrad pendait comme un appendice inutile,
A ses prisons s’accrochant.

En ce temps-là, rendus fous d’être torturés,
Défilaient des régiments de condamnés,
De leurs sifflets, les locomotives avaient chanté,
Brièvement une séparation annoncé.
De funèbres étoiles au-dessus de nos têtes,
Se tordait la Russie, de tout péché pure,
Sous les bottes, de sang couvertes…

On t’avait relâché à l’aurore,
En procession funèbre, derrière toi j’avais marché,
Les enfants pleuraient dans la chambre sombre,
Près des images saintes le cierge avait coulé.

Voilà une femme malade,
Cette femme, de solitude,
Son mari est mort, son fils prisonnier,
Priez pour moi, veuillez prier.

Déjà dix-sept mois à crier,
Je t’appelle et te veux chez moi.
Aux pieds du bourreau me jeter;
Tu es mon fils et mon effroi.
Confondus hier comme demain,
Où distinguer m’est impossible
La bête sauvage de l’humain,
La peine, jour imprévisible.

Et les semaines fugitives de s’envoler,
Je ne puis comprendre ce qui t’arriva.
Comment sur toi, ô mon fils qu’on emprisonna
Les nuits blanches ont dû veiller,
Comme elles te veillent encore
De leur oeil ardent d’épervier,

De ta croix haute ne font que parler
Et d’évoquer la mort.

Ni les yeux fous de mon enfant, au visage
Figé de souffrance,

Ni le jour de l’orage,
Ni le parloir, heure d’importance…

Et je ne prie pas pour moi seule,
Mais pour toutes celles qui, avec moi, se tenaient ici,
Dans le gel comme sous la canicule,
Au pied du mur aveugle et rougi.

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