Musique
Crédit photo : Francis Baumans
C’était au matin du 15 novembre dernier, soit moins de quarante-huit heures après que son pays eût été secoué par la plus grande tragédie de son histoire moderne. «J’étais à Lyon quand ça s’est passé», nous avait alors raconté l’auteure-compositrice-interprète au sujet du drame qui avait frappé Paris ce soir-là. «On m’avait offert un concert à Lyon à la toute dernière minute, mais comme je devais décoller depuis Paris le lendemain matin, j’avais quand même hésité un peu avant d’accepter… Finalement, je l’ai fait, et quand je suis sorti de scène et que j’ai appris ce qui était arrivé là-bas, je n’en revenais tout simplement pas… Puis tous mes amis de Paris ont commencé à m’appeler, et c’est la que j’ai appris que ça s’était passé juste à côté de chez moi.»
Occupant depuis peu un appartement du boulevard Voltaire — à quelques pas du Bataclan où s’était déroulé le plus gros du drame —, Pomme s’était alors empressée de contacter sa meilleure amie pour vérifier si elle était bien en sécurité; elle avait ensuite réussi à rejoindre sa chef de projet chez Polydor, qui était quant à elle coincée dans le sous-sol d’un bar du quartier où avaient eu lieu les attentats. «C’était tout simplement un mélange des pires sentiments humains; un mélange de colère, de tristesse, évidemment, mais aussi de peur.»
Les traits tirés et le regard un peu perdu à son arrivée à l’aéroport, Pomme n’avait visiblement pas réussi à dormir dans l’avion. En fait, nous avait-elle rapidement expliqué, elle n’avait pas réellement dormi depuis ce soir-là. Après son concert, elle avait décidé de passer la nuit à Lyon, préférant rester chez ses parents jusqu’au lendemain plutôt que de retourner à Paris. «De toute façon, je savais que mon vol pour Montréal [prévu pour le matin du 14 novembre] allait être retardé; ils avaient annoncé que les frontières seraient fermées temporairement…» Cette nuit-là, la jeune femme s’était retrouvée dans un tel état qu’elle avait été incapable de tolérer la noirceur. «J’ai été obligé de garder la lumière de ma chambre allumée, alors du coup, je n’ai jamais été capable de m’endormir…»
Finalement arrivée avec un seul jour de retard au Canada, la chanteuse admet par ailleurs que, même si les circonstances auraient facilement pu l’y pousser, ce n’est pas tellement au hasard — celui qui, par le biais d’un concert de dernière minute, allait la mener à des milliers de kilomètres de Paris ce soir-là du 13 novembre — qu’elle avait réfléchi; plutôt, elle s’était repliée sur une sorte de relativisme généralisé, «probablement comme tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par ces attaques, d’ailleurs…»
Dans le cas de Pomme, ce relativisme généralisé n’est toutefois pas resté bien longtemps, et lorsqu’elle avait évoqué «certains problèmes qui paraissaient maintenant dérisoires», c’est en fait à une période particulière de sa vie qu’elle avait voulu faire référence.
Une période qui remontait à janvier 2014, lorsqu’après plusieurs mois à suivre le chanteur Mathieu Mendes un peu partout à travers le pays pour promouvoir leur duo «Okay», leurs chemins se sont soudainement séparés. «À la base, il y avait des projets avec lui… Enfin, il devait un peu jouer tous les rôles — producteur, directeur artistique, etc. — et puis par la force des choses, c’est tombé à l’eau… Mais à ce moment-là, pour moi, l’industrie de la musique, C’ÉTAIT Mathieu Mendes, alors je me suis senti perdu… Pendant trois mois, je n’ai presque plus fait de musique; je me disais que si la seule personne qui pouvait m’aider n’était plus là, alors c’était peut-être déjà fini…»
DE RETOUR À L’HÔTEL, POMME s’empresse de s’allonger de tout son long sur le lit. «Cool, tu arrives juste à temps», lui lance aussitôt Alexandre Pouliot, son gérant pour le Canada qui attendait le retour de la jeune chanteuse pour visionner avec elle son premier passage à la télévision québécoise.
Originaire de la capitale provinciale et fondateur du Groupe Artifice (maison de disque, agence de spectacle et boîte de gérance représentant, entre autres, Geoffroy, Automat, David Paradis ainsi que Radio Radio et Yann Perreau en promotion radio), Pouliot a découvert Pomme il y a environ deux ans en tombant sur la vidéo de «Okay», qui venait alors tout juste de sortir. «Lorsqu’il m’a contacté en 2013», se rappelle la chanteuse, «je n’avais aucun matériel solo à proprement parler, mais j’ai quand même voulu garder le contact avec lui, surtout parce que l’idée de pouvoir démarcher au Québec m’excitait beaucoup.»
Surprise que Pouliot ait gardé un intérêt pour elle pendant tout ce temps, c’est finalement en janvier 2015 (lorsqu’elle signe son contrat avec Polydor) que Pomme contacte à nouveau son futur gérant canadien, qui embarquera alors sans hésiter dans l’aventure Pomme.
Aujourd’hui, réunis tous les deux dans une chambre d’hôtel de Montréal, c’est d’ailleurs avec une complicité évidente qu’ils s’apprêtent à témoigner ensemble de cette première apparition de la jeune femme à la télévision québécoise, un segment tourné la veille dans le Vieux-Québec, et présentant entre autres une courte performance live de la pièce «Je ne suis pas dupe».
Représentant le quart de ce premier effort chez Polydor, «Je ne suis pas dupe» a aussi la caractéristique d’être la seule chanson du EP à avoir été écrite et composée par Pomme. «Au début, quand les gens du label m’ont dit qu’ils allaient me trouver des auteurs-compositeurs pour m’écrire du matériel, je n’étais pas trop certaine, parce qu’en gros, ce que je comprenais, c’est qu’ils étaient en train de me dire que j’écrivais mal», rigole aujourd’hui la jeune femme.
«Mais maintenant, ça va, ma vision de la chose a beaucoup changé depuis.»
Visant un ratio composition/interprétation similiaire à celui d’En cavale lorsque viendra le temps de produire son premier album complet, Pomme raconte en effet ne plus avoir la même perception de l’interprétation en tant que forme d’expression. «Déjà, il faut dire que dans le cas des chansons qui sont écrites et composées par d’autres, ce n’est pas comme si on me disait chante ça, et que je n’avais aucun pouvoir décisionnel; il y a quand même un processus par lequel je dois passer qui dépasse la simple exécution.»
«Mais plus que toute autre chose, au final, je veux surtout que mon album soit beau; que les gens l’aiment, et que moi aussi je l’aime. Et ça, c’est plus important que mon ego. Beaucoup plus important.»
Si Pomme ne cache évidemment pas qu’elle aimerait un jour être en mesure de sortir un album qu’elle aurait écrit et composé à 100%, la jeune femme accepte finalement cette approche comme un cheminement graduel; un processus d’apprentissage à travers lequel elle souhaite avancer une étape à la fois. «Je crois que si je parviens à avoir au moins une pièce sur quatre sur l’album qui soit de moi, je vais être tout à fait satisfaite!»
En cavale, le premier EP de Pomme, est disponible dès maintenant sur iTunes.
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Par Francis Baumans