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Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur de se glisser dans sa peau, l’espace d’un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Jean-François Ruel, alias Yes McCan, des Dead Obies. À mi-chemin entre l’énergie brute du concert et la finition du studio, leur œuvre d'art totale marque un nouveau tournant qui saura forcément prendre toute sa signification sur scène.
1. Vous avez plusieurs fois mentionné «La Société du spectacle» de l’essayiste Guy Debord comme étant une influence sur la démarche de «spectacle social» présente sur l’album. Comment avez-vous transposé cette vision sur Gesamtkunstwerk et sur les spectacles à venir?
«Debord parle à maintes reprises de l’idée de la séparation comme langage du spectacle, c’est-à-dire, entre autres, que le spectateur est séparé de celui-ci, tout en y participant (puisqu’il n’y a pas de spectacle sans spectateur). Il est donc un aliéné du spectacle comme le travailleur est un aliéné de la marchandise chez Karl Marx.»
«On a voulu aller dans le sens de Guy Debord dont l’objectif était de nuire par tous les moyens possibles à cette société du spectacle en la détournant. On avait donc envie de faire tomber, ou à tout le moins de brouiller les différentes «séparations» existant entre le live (le réel, le tangible) et le studio (la simulation du réel, la marchandise fétichisée), entre la «vedette» (justification du système chez Debord) et le spectateur, entre le vrai et le “mis en scène” par différents procédés de mise en abîme et d’inversion du focus sur la scène vers le spectateur.»
2. Dans le mini-documentaire, vous citez un passage de l’œuvre de Debord qui semble vous avoir particulièrement inspiré: «le vrai est un moment du faux». Qu’est-ce que cela veut dire exactement pour Dead Obies?
«Pour Debord, la première phase de la domination de la vie sociale par l’économie a dégradé l’être en avoir. Ainsi, l’homme ne se définit plus par son état d’être (manger, dormir, travailler, etc.), mais par sa capacité d’acquisition (avoir à manger, avoir un toit, avoir un travail). À l’heure de la publication de La Société du spectacle, cependant, l’auteur est convaincu qu’une deuxième phase de la domination de la vie sociale par l’économie débute, engendrée par les résultats accumulés de la première (le capitalisme est bien entendu un système qui fonctionne par accumulations); cette deuxième phase conduirait au glissement de l’avoir en paraître.»
«Le premier chapitre s’ouvre à ce sujet sur une citation éclairante: Et sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être… Lorsqu’un président déclare qu’il ne peut plus accueillir de réfugiés dans son pays, lorsqu’un gouvernement coupe dans les budgets alloués à la santé et à l’éducation en affirmant être trop endetté pour subvenir à ces besoins, lorsque les puissants continuent de détruire l’environnement sous prétexte que les alternatives sont trop coûteuses… C’est oublier que les concepts de dettes et d’argent sont des symboles et des systèmes créés par l’homme pour l’homme. C’est à se poser la question: Peut-on laisser un malade mourir sous prétexte qu’on n’a pas d’argent pour le sauver?»
«On peut donc saisir ce que le philosophe signifie lorsqu’il affirme: Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation et l’être humain doit d’abord passer par le faux pour accéder au vrai, prisonnier d’une société qui préfère l’image à la chose.»
3. En quoi votre album est-il en lien avec son titre, c’est-à-dire avec cette idée d’une «œuvre d’art totale»?
«L’idée derrière tout ça était d’unifier le discours de l’album dans toutes ses facettes: dans l’écriture, oui, mais aussi dans la réalisation du projet, dans sa marchandisation, dans sa promotion. Bien entendu, on ne prétend pas accéder au niveau d’art total dont parlait Wagner, mais le clin d’œil un peu prétentieux fittait bien avec l’attitude frondeuse du rap. Il y a aussi le fait que le titre ne soit ni en français ni en anglais qui nous plaisait bien!»
4. Côté musical, qu’est-ce qui a inspiré Dead Obies lors de la composition des morceaux?
«Pas mal tout ce qui se fait en ce moment niveau du rap US, sans tomber dans un créneau en particulier. Comme on est un groupe avec plusieurs membres et que les horizons musicaux de chacun sont assez vastes, on avait comme objectif d’essayer de toucher à tout, tout en restant cohérent dans notre approche et en offrant une signature bien Dead Obies. Ça, et une bonne batch de chocolope.»
5. Quelle est la suite des choses pour vous après la tournée?
«On se doit de rester busy, on est toujours au studio à faire de la musique. Quelques petits projets solos pourraient éclore dans la prochaine année. On essaie en général de ne pas se tailler de plans trop d’avance et de jouer avec les imprévus…»