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Crédit photo : Disques 7ième ciel et Drowster
D’entrée de jeu sur «Leader», Korey Hart annonce bien les couleurs de l’album: «Tu sais que chu le best better, yet je deviens meilleur / Mais si y’a pas 5 chiffres sur le chèque c’est une erreur […] Le monde est dans ma main, glory on the brain / J’run le game juste pour voir le nom Korey dans le hall of fame». Le personnage ou alter ego de Koriass, la légende du rap, le meilleur des meilleurs, le «leader» de la gang est là, il est prêt et il est en feu! On le sent instantanément dans chaque intonation, dans le débit de la livraison, et dans le contenu et l’attitude de chaque couplet: Korey Hart est très présent sur Love Suprême, surtout dans la première moitié du disque. Et si cet alter ego offre des paroles qui rejoignent moins le «vrai monde», il a l’avantage de créer des beats enlevants et de faire rêver, parce que lui se permet de dire ce que plusieurs pensent tout bas.
C’est là la beauté de l’alter ego: ça donne les couilles pour dénoncer ou revendiquer certaines choses. Avec des lignes comme «Journaliste de droite, Radio X de merde / Jeu de dards sur un 8×10 d’Éric Duhaime» («Nulle part»), «Un gros shout out à ma génération Watatatow / Ha ! Michel Couillard over Philippe Couillard» («Zombies», sorte d’hommage au disparu Hugo St-Cyr par le fait même?), ou encore une référence, sur «Pardon» en duo avec Loud, au boycott du groupe Loud Lary Adjust de l’ADISQ, en 2015, parce que leur disque n’était pas considéré assez francophone pour s’inscrire dans la catégorie «Album rap/hip-hop de l’année» ni assez anglophone pour être classé dans les nominations en anglais – un sujet qui avait vivement fait réagir Koriass -, l’artiste lance des uppercuts aussi habilement qu’il manie la rime et les rythmes.
Et juste au moment où on se disait, après seulement un morceau et demi, qu’il y avait énormément – plus qu’avant – de lignes en anglais et d’expressions anglophones dans ses textes, Korey nous coupe l’herbe sous le pied et nous ramène à l’ordre: «j’suis pas l’antichrist parce qu’y a des anglicismes dans mon rap, fuck that» («Légendaire»). C’est compris, Korey; de toute façon, on l’entend bien que ça coule souvent bien mieux en anglais, selon la rythmique des mélodies accrocheuses et dynamiques.
Une autre surprise à laquelle on était moins habitués se retrouve sur «Jolies filles», en duo avec Lary Kidd. Alors que Lary a ouvert le bal, Korey poursuit sur le même air et s’adonne à un refrain un peu plus chanté, ce qui ne sonne pas fluide et naturel, mais qui s’harmonise bien avec le style de rap plus posé, moins effréné, de cette composition. Toutefois, on aurait peut-être aimé que les collaborations avec Lary Kidd et Loud soient plus homogènes plutôt qu’ils ne livrent chacun leurs couplets individuellement. On apprécie néanmoins, tout au long des pistes, de nombreux clins d’œil et références à ses propres albums précédents, mais aussi aux œuvres de ses comparses; ici le titre d’une pièce de Petites victoires (2011) qui revient, là, une ligne d’une chanson des Colocs.
C’est à partir de la neuvième piste, «Blacklights», que la game change du tout au tout: non seulement on renoue avec le vrai Koriass, celui qui livre des textes plus sentis et personnels, mais on a carrément droit au meilleur morceau du disque. En partie à cause de son échantillonnage absolument parfait de la chanson «Un trou noir au bout d’un appât» des sœurs Boulay, auquel les couplets du rappeur répondent parfaitement à l’extrait choisi qui revient en boucle, mais aussi parce qu’on le retrouve plus socialement investi, comme dans les bonnes vieilles tracks de Rue des saules (2013) et Petites victoires (2011). Faisant écho à un pan plus personnel de sa vie déjà verbalisé en avril 2015 dans un texte du même titre sur Urbania, le morceau est poignant quand on connaît l’histoire, et nous saisit même si on ne la connaît pas, avec ses arrangements et son échantillonnage parfaits.
Au final, il faut avouer qu’on adore l’assurance et le «je-m’en-foutisme» de Korey Hart, mais c’est malgré tout dans les propos plus personnels et les histoires simples du quotidien qu’il réussit le plus à nous interpeller. Sur la chanson-titre, en duo avec Sabrina Halde, la chanteuse de la formation Groenland, il nous livre de façon plus intime ses remises en questions, témoignant d’un contenu plus sombre que sur le reste du disque, malgré la présence presque céleste de Halde. Excellent duo, elle donne un dernier souffle de vérité avant la finale où le personnage de Korey Hart reprend le dessus.
On a quand même le temps de la saisir, l’authenticité, à travers les répliques cinglantes, les airs supérieurs et les cinq interludes graves et profonds narrés par le grand Gilbert Sicotte, qui accable Korey Hart et tente de le ramener sur le droit chemin. La vérité, c’est que Koriass a une peur démesurée de ne pas être à la hauteur et ne pas recevoir le Love Suprême, cet amour absolu. En écrivant ce quatrième disque, il a tenté d’exorciser la bête narcissique qui vivait en lui, mais si cette bête et cette peur d’être surpassé continuent à le pousser à livrer de la marchandise aussi brillante, enlevante et incarnée que ce nouvel opus, peut-être faudrait-il envisager les garder au moins encore un peu…
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Par Disques 7ième ciel et Drowster
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